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L'économie collaborative : nouvelle opportunité pour les marques ?

L'économie collaborative : nouvelle opportunité pour les marques ?

Par : HUB Institute
26 mai 2014
Temps de lecture : 14 min
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L’économie collaborative (ou sharing economy) n’est plus un microphénomène. Aujourd’hui, près d’un Français sur 2 est adepte de nouveaux modes de consommation, selon le dernier Observatoire de la confiance de La Poste en (Novembre 2013). Reposant sur le partage d’un bien ou d’un service entre plusieurs utilisateurs, afin de réduire les coûts d’utilisation de celui, cette pratique se répand à la fois entre particuliers et dans nos entreprises.

Une néo-économie née du paradigme de la crise

L’économie collaborative est une véritable disruption des modèles préexistants. Il s’agit d’une pratique augmentant l’usage d’un objet ou d’un service par le partage, l’échange, la location… L’Observatoire de la Confiance, réalisé en Novembre 2013 par La Poste en partenariat avec TNS Sofres, nous apprend qu’au total ce sont 8 Français sur 10 qui pratiquent ou ont l’intention de pratiquer cette nouvelle manière de consommer. Elle n’est donc pas vouée à disparaître et s’avère de plus en plus ancrée dans les habitudes de consommation des Français, et plus largement de consommation mondiale.

Le succès de la « sharing economy » s’explique grâce à trois facteurs. Dans un premier temps, le contexte de crise a joué pour beaucoup dans la propagation à l’échelle mondiale de ce nouveau système. Les consommateurs sont alors partis à la recherche de formes de consommation alternatives afin de trouver des produits et services moins coûteux. Ainsi, 63% des Français se sont tournés vers ce modèle en raison des prix peu élevés et 55% pour la possibilité de trouver des bons plans et bonnes affaires (source : Observatoire de la Confiance Novembre 2013). Les considérations relatives au pouvoir d’achat des consommateurs ont favorisé l’émergence de cette économie 2.0 basée sur le partage de biens ou de services.

Sur un point de vue plus matériel, l’avènement et la démocratisation des nouvelles technologies ont permis le développement de l’économie de partage à grande échelle. De la facilité de créer un site à l’émergence d’une multitude de places de marchés peer-to-peer, en passant par les applications pour smartphones, ces avancés technologiques ont permis aux internautes du monde entier de se regrouper sur ces plateformes et de se rencontrer pour échanger biens, services, compétences, voire même des financements. En outre, les systèmes de notation sur les sites ont favorisé le maintien d’un climat de confiance entre usagers et contribué aux échanges.

Enfin l’écologie a joué son rôle dans l’émergence de ce nouveau type de consommation. Si les préoccupations liées aux conséquences de nos modes de vie sur l’environnement, l’écosystème et la santé, sont de plus en plus prégnantes dans les esprits des consommateurs, cela a clairement aidé à son développement. Elle revient sur de vraies valeurs que la crise a remis au goût du jour : consommer moins mais mieux, recréer des liens sociaux et le respect de l’environnement.

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L’économie de partage connaît un réel engouement de la part des consommateurs. Elle a permis, en période de crise, de leur redistribuer du pouvoir économique. La notion clé de ce phénomène est « l’empowerment » : il s’agit de redonner le pouvoir aux individus. Ces derniers utilisent alors leurs propres biens ou compétences qu’ils vont monétiser et ainsi créer des revenus alternatifs. Ils reprennent alors le dessus sur une économie qui ne les a pas ménagé et agissent désormais comme une entreprise, en contournant les systèmes traditionnels des grosses sociétés.

Cette nouvelle économie fonctionne et croît car elle répond aux attentes des individus. Les valeurs de maximisation du profit, d’offres standardisées, de consumérisme et surtout de consommateurs passifs ne résonnent plus dans l’esprit des gens. Ils sont aujourd’hui à la recherche de marques qui ont du sens, de produits les plus personnalisés possible pour répondre à leurs exacts besoins. En facilitant la connexion et le partage entre individus, ce système collaboratif favorise alors à son tour une économie locale et active grâce à ses membres.

De plus, elle a également permis à ses utilisateurs de retrouver de la confiance, perdue suite à la crise. Ayant récupéré le contrôle de leurs dépenses, les consommateurs ont gagné en confiance (en eux et dans le futur) et sont de plus en plus à l’aise à l’idée d’échanger avec d’autres individus. L’amélioration des systèmes de notation et de réputation des sites n’y étant pas non plus étrangère. Ils sont ainsi de plus en plus en faveur de ce type d’échanges et de partage. L’Observatoire de la Confiance (Groupe La Poste et TNS Sofres – Novembre 2013) l’atteste : les Français qui pratiquent la consommation collaborative sont 78% à avoir confiance dans les échanges entre particuliers, tandis que seulement 59% de l’ensemble des Français sont confiants. Ce regain présente une incidence directe sur leur moral. En effet ces échanges alternatifs leur permettent d’entrevoir de nouvelles solutions pour palier les effets néfastes de la crise. Face aux réfractaires, les militants de cette pratique s’avèrent beaucoup plus confiants en l’avenir et en la solidarité des gens. L’économie collaborative, une thérapie contre la morosité de la crise ?

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Si cette méthode permet de soulager les comptes en banque des consommateurs, elle s’attaque également à l’individualisme ambiant de notre société actuelle. Favorisant rencontres et échanges entre utilisateurs, cette économie de l’accès a fait émerger un véritable impact sur l’aspect « social ». Le succès de ces plateformes peer-to-peer est pour beaucoup dû à la possibilité de recréer du lien social.

Ainsi, la consommation collaborative a connu un véritable essor et une adhésion de la part du public car elle a pu répondre aux attentes des consommateurs en recherche de sens dans un contexte où la crise économique tendait à un repli de l’individu.

Elle est désormais ancrée dans la vie quotidienne des ménages. On assiste donc à l’émergence d’une tendance plus profonde de désappropriation des biens. Un nouveau business model est né. Le marketing collaboratif se détache de la recherche de la maximisation du profit des modèles classiques. Il vise à réduire les intermédiaires au travers d’une auto-régulation du marché et des prix par les consommateurs eux-mêmes. Selon l’étude « The Collaborative Economy » d’Altimeter Group réalisée en Juin 2013, 3 modèles se dégagent pour l’économie collaborative :

  • Company-as-a-Service : proposer aux consommateurs des produits ou des services qui soient « à la demande » ou selon un modèle de souscription. Il permet de développer une relation à long terme avec l’utilisateur.
  • Motivate a Marketplace : l’entreprise doit encourager la création d’une communauté autour de la marque en proposant des interactions (revente, achats groupés, échanges…) entre les utilisateurs. Ce système permet d’ajouter de la valeur aux transactions entre les utilisateurs et créer de nouvelles opportunités.
  • Provide a platform : la création d’une plateforme ouverte à tous. Les consommateurs créeront alors par eux-mêmes les produits ou nouveaux services. Le crowdsourcing permet une réduction des coûts et l’ouverture sur de nouveaux marchés.

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Un nouveau business model qui ne fait pas l’unanimité

Les plateformes collaboratives comme Airbnb, Uber, Lyft… se sont multipliées très rapidement. Ce nouveau système s’est vu attribuer divers noms comme économie collaborative, économie du partage, sharing economy, collaborative consumption ou économie du peer-to-peer. Une multiplicité d’appellations qui témoigne d’un modèle jeune et qui se cherche encore. Actuellement en pleine expansion, ces entreprises n’hésitent pas à contourner les règles établies par les compagnies dont elles constituent la disruption. Une situation qui tend à remettre en question leur légitimité sur un marché qui peine à évoluer et à les accepter.

Ces entreprises collaboratives se heurtent désormais à de nouveaux obstacles dans leur course au développement. Elles doivent tout d’abord faire face aux industries traditionnelles et aux régulateurs qui les assignent en justice pour concurrence déloyale. Gagnant en flexibilité grâce à l’usage de la technologie (comme par exemple la commande via mobile d’un véhicule Uber), elles réussissent alors à déjouer les règles existantes. De plus, leur modèle économique basé sur la désintermédiation et le rapprochement entre les consommateurs leur confère un avantage supplémentaire en termes de réactivité et simplicité d’usage. La plateforme Airbnb, par exemple, connaît actuellement des difficultés judiciaires aux Etats-Unis face aux Lobbys Hôteliers et aux agences immobilières pour des appartements illégalement loués. C’est pourquoi il leur est nécessaire de travailler sur leur modèle et de trouver un juste compromis entre la place de marché et l’e-tailer.

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Une autre difficulté à laquelle sont confrontées les entreprises peer-to-peer : le mécontentement de clients. Ces plateformes fonctionnement grâce à leurs utilisateurs et à leur communauté. Leur succès va donc ainsi de pair avec les avis des consommateurs. Un utilisateur mécontent peut rapidement se retourner juridiquement contre la plateforme. C’est le cas de Nigel Warren et Airbnb. Il s’est retrouvé condamné par la ville de New York à 40 000 euros d’amendes pour avoir enfreint plusieurs interdictions concernant la location d’appartements. Pour une location d’une nuit à 100 euros, le retour de bâton est sévère. Par la suite, l’homme s’est retourné contre la plateforme, accusant le site de ne pas alerter les utilisateurs sur les risques encourus en mettant son appartement en location. Les entreprises collaboratives doivent ainsi faire face à des clients encore peu sensibles et évangélisés sur l’approche juridique de ces nouveaux modes de consommation.  Les utilisateurs ont besoin d’un gage de qualité pour être rassurés, d’avoir confiance dans la plateforme et donc d’être sensibilisés. Car disons le clairement, Internet n’autorise pas tout.

Tout le monde ne perçoit donc pas la consommation collaborative comme une véritable opportunité, ou du moins sous sa forme actuelle. C’est le cas notamment de Scott Smith. Auteur de l’article « The Sharing Economy isn’t Sharing Its Wealth with you » pour le site Quartz.com, il pense que cette économie a profité des fractures du capitalisme et de la technologie pour s’implanter. Intervenu lors de la conférence Lift, il y a soutenu que ces marchés utilisent les usagers comme des atouts dans leur stratégie de croissance. De nombreuses personnes ont aujourd’hui besoin de revenus supplémentaires. Les sites collaboratifs sont apparus dès lors comme une solution. Cependant certains ne respectent pas le principe « user centric » d’internet et en profitent pour réaliser de gros bénéfices sur leur dos. L’économie de partage n’est donc pas axée sur la collaboration mais sur l’utilisation des consommateurs. Un écart de plus en plus important se creuse entre les entreprises rêvant de créer une économie de micro-entrepreneurs et celles ayant embrassé l’idée de contrôler et réaliser des revenus sur le travail ou les propriétés des utilisateurs. Mais ces compagnies doivent faire très attention. Il arrivera un moment où les utilisateurs cesseront de les utiliser à cause des risques trop importants de poursuites judiciaires et qui trouveront de nouvelles plateformes plus à leur écoute. Mais rien n’est perdu. Si cette économie tend à considérer les utilisateurs comme des citoyens et développer une véritable expérience sociale, on pourra dès lors parler de « sharing economy ».

Une économie qui offre de nouvelles opportunités aux marques

« La consommation collaborative constitue pour eux (les acteurs traditionnels) une formidable opportunité de rebond, voire de création de nouveaux courants d’affaires » explique Philippe Moati, coprésident de l’Observatoire Société et Consommation.

Les plateformes collaboratives ont connu ces dernières années, en parallèle de l’avènement du digital dans les modes de vie des consommateurs, une importante croissance. Elles ont longtemps été jugées comme une menace pour les marques, accaparant l’attention du consommateur et ses valeurs, qui sont rapidement passées de la possession d’un produit à la mise en avant de son usage. Mais Jeremiah Owyang, fondateur de Crowd Companies (organisme d’accompagnement de marques sur l’économie peer-to-peer), explique que la consommation collaborative « représente au contraire une opportunité historique ». Mais pour arriver à s’intégrer à un marché qui se voulait alternatif et indépendant du réseau des grandes industries, les marques vont devoir repenser et consolider les fondations de leur relation avec les consommateurs.

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L’objectif pour les entreprises est de savoir quel rôle peuvent jouer les marques dans un marché où les utilisateurs prennent l’habitude de combler leurs attentes et besoins en utilisant des procédés secondaires. Brian Solis, Digital Analyst, explique que « l ‘important dans l’économie collaborative n’est pas la valeur de l’économie mais la construction d’une relation ». Si les marques désirent s’intégrer à l’économie collaborative déjà mise en place, elles vont devoir redoubler d’attention auprès des consommateurs, apprendre à les connaître et à les comprendre afin de leur proposer le service le plus adapté à leurs attentes. Ces nouvelles actions vont devoir être construites en parallèle de leur activité de base. Ce service devra être le pont entre la marque et les consommateurs, qui verront dès lors son utilité et sa valeur sur le marché.

Quelques entreprises ont d’ores et déjà passé le pas. En Décembre dernier, Home Depot a signé un partenariat avec Uber pour faciliter la livraison des sapins de Noel. Sans créer de plateforme propriétaire, le retailer propose ainsi à ses clients de se faire livrer chez eux un sapin en prenant commande via l’application du service de transport Uber. Il s’agit d’un partenariat win-win : d’un côté Home Depot organise une opération originale et propose à ses clients de s’affranchir de la tâche rarement simple de ramener un sapin chez soi. De l’autre côté, Uber en profite pour gagner en visibilité et récupérer de nouveaux clients.

La marque Patagonia s’est associée avec eBay afin d’encourager les consommateurs à acquérir des objets déjà utilisés au lieu d’en racheter de nouveaux. Les profits de ces ventes étant reversés à des associations caritatives. Mise à part la réalisation de ventes pour eBay, le partenariat bénéficie principalement à la marque de vêtements qui se positionne comme une marque solidaire, respectueuse et attentive aux besoins de ses clients. L’alliance avec eBay lui permet de favoriser l’échange et la réutilisation de vêtements d’occasion entre ses clients. Elle crée ainsi une communauté alternative basée sur des valeurs saines.

D’autres exemples sont apparus en France comme par exemple Castorama et son programme de partage d’heures de bricolage : Les Troc Heures. L’enseigne a mis en place une platforme propriétaire lui permettant de réunir amateurs ou professionnels du bricolage avec des spécialités. Selon les besoins de chacun, les internautes pourront échanger entre eux leurs compétences afin d’avancer sur leurs projets respectifs. Le tout est gratuit, empreint de bonne volonté et d’échanges au sein d’une communauté. L’intérêt pour la marque est d’aider ses clients à réaliser leurs projets eux-mêmes (positionnement de Castorama) ou avec une aide, par l’entraide et l’échange.

Enfin, dans l’automobile, Peugeot a également lancé une offre de mobilité et de partage de voitures : Mu By Peugeot. Système de location de véhicules (automobiles, utilitaires, vélos…) à durée déterminée à destination des particuliers. La marque apporte ainsi à ses clients plus d’adaptabilité et de mobilité en leur permettant de louer le véhicule correspondant à leurs besoins à un moment donné.

Conclusion

L’économie collaborative n’est plus un mystère pour qui que ce soit. Les consommateurs y adhèrent largement, les marques l’ont craint jusqu’à maintenant. Ses valeurs d’usage au delà de la propriété en ont fait une économie post-crise qui est venue combler les attentes et besoins d’utilisateurs en recherche d’une prise du recul sur la crise financière et le capitalisme.

La consommation collaborative peut représenter aujourd’hui un formidable enjeu pour les marques. Bien au delà d’un aspect purement économique, l’objectif est de reconquérir le cœur des consommateur malmené par la crise. S’ils se tournent vers une économie plus solidaire et collaborative, c’est parce qu’ils ne croient plus au consumérisme de masse. Les marques peuvent y voir ici une opportunité pour recréer des liens avec eux en élaborant des concepts porteurs de valeurs et de sens. Elles ne doivent pas être omniprésentes et laisser les utilisateurs mener leurs projets comme ils le veulent. A vouloir entrer de manière trop brutale sur le marché collaboratif, elles encourent le risque de le transformer en espace « mainstream » et faire fuir les utilisateurs. La mise en place de partenariats avec des services préexistants permet à la marque de proposer des services supplémentaires facilitant la vie du consommateur et obtenant ainsi son approbation.

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