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Gérard Bucourt, Bouygues SA : Plus que la fidélisation, c’est la fidélité des collaborateurs qu’il faut rechercher

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Gérard Bucourt, Bouygues SA : Plus que la fidélisation, c’est la fidélité des collaborateurs qu’il faut rechercher

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Dans le cadre de C-Level Collection, c'est Gérard Bucourt qui, au nom du groupe Bouygues, est le premier représentant de la Direction des Ressources Humaines. A la tête des RH de la holding  Bouygues S.A., mais aussi créateur il y a presque 20 ans de l'Institut du Management Bouygues, lieu d'échange des managers du groupe, c'est en sage qu'il évoque la permanence de l'humain dans un monde toujours plus incertain.

Quel est votre rôle au sein du groupe Bouygues ?

Gérard Bucourt : Je suis DRH de la holding Bouygues SA. A ce titre j’ai des fonctions classiques de DRH opérationnel (recrutement, formation, système d’appréciation, paie). C’est très concret et très important pour l’autre partie de mon travail, qui est l’animation de l’Institut du Management Bouygues. Cet institut est un espace de rencontres des 600 cadres dirigeants du groupe, il se propose de coordonner, partager les bonnes pratiques, et mutualiser certains moyens entre les Directions RH, lesquelles sont toutes autonomes (voir encadré).

Gérard Bucourt, DRH du groupe Bouygues

Quel regard portez-vous sur la digitalisation des RH telle qu’elle existe aujourd’hui et jusqu’où pourrait-elle aller ?

G.B. : En fait, la fonction RH est l’une de celle où le digital est implanté depuis le plus longtemps, que ce soit au niveau des S.I. RH ou des systèmes de communication interne, la communication interne étant le plus souvent rattachée aux RH. Il y a effectivement une accélération autour de l’automatisation des tâches répétitives, mais au fond, je ne suis pas sûr que la fonction RH soit la discipline la plus disruptée.

Dans son essence, je ne suis pas sûr que la fonction RH soit  celle où les changements les plus radicaux sont à venir.

En ce qui concerne les systèmes prédictifs par exemple, nous en sommes au stade de l’amorce. Ce sont des acteurs extérieurs comme LinkedIn qui apportent une mutation à travers la quantité et la qualité des données qu’ils détiennent sur nos propres collaborateurs au-delà de ce que nous savons nous-même (et qu’ils nous vendent !).

Que pensez-vous des plateformes de type Glassdoor, qui permettent aux salariés de noter leur entreprise ?

G.B. : Ce n’est pas un épiphénomène. C’est à observer, mais observer ne signifie pas forcément accepter et promouvoir. Cela doit doit surtout attirer notre attention sur le fait qu’il faut donner aux salariés des moyens de s’exprimer et aller à leur rencontre peut être un peu plus qu’on ne l’a fait.

 

Le salarié tend-il à devenir le client de l’entreprise ?

G.B. : En quelque sorte ! Quand on voit les leviers de fidélisation que nous mettons en place... A titre personnel, je préfère la notion de fidélité à l’entreprise que celle de fidélisation : la fidélisation c’est comment retenir et avoir le contrôle du salarié, alors que la fidélité c’est comment je mets en place des éléments qui lui permettent de prendre par lui-même la décision de rester.

On pourrait dire la même chose à propos de la relation-client en général. Avoir des dizaines de cartes de fidélité témoigne-t-il d’une quelconque fidélité ?

La fidélisation - sous l'angle du contrôle - peut à terme générer un rapport nocif avec l’entreprise.

Lorsque l’on met en place des mécanismes de rétention tels que les bonus différés ou les stocks options, on retient le salarié. Mais dans l’intervalle qui précède la réalisation de ses actifs, est-il totalement performant ? C’est la question qu’il faut se poser.

Dans la jeune génération, l’idée d’une carrière longue au sein d’une même entreprise est presque une contre-valeur. Pensez-vous que ce phénomène est temporaire, ou la culture du groupe Bouygues est-elle amenée à évoluer ?

G.B. : La pérennité des collaborateurs n’est pas une fin en soi. C’est vrai qu’il est toujours mieux qu’avoir des collaborateurs que l’on connait et qui vous connaissent bien, mais la longueur de carrière est la conséquence d’un parcours. Moi-même je suis depuis 33 ans dans le groupe mais je n’ai pas le sentiment d’avoir fait pendant 33 ans le même métier. Notre groupe est l’un des rares groupes diversifiés en France. On peut bouger à l’intérieur et véritablement avoir plusieurs vies professionnelles très différentes. Même si ce n’est pas tout à fait ce qui est enseigné dans les écoles, il peut y avoir pérennité et mouvement. Compléter sa culture, tenter d'accumuler différentes expériences et s’enrichir, c’est possible au sein d’une même entreprise. La pérennité peut être une valeur moderne.

Comment abordez-vous l’empowerment féminin dans le groupe ?

G.B. : On fait beaucoup pour féminiser les métiers et c’est juste normal. Cela dit, les situations sont disparates entre TF1, Bouygues Telecom, Bouygues Immobilier où les femmes sont majoritaires, et les métiers de la route et de la construction. 

 

Vous avez lancé [avec le HUB Institute] une série de formations autour du thème « manager dans un environnement incertain ». Pourquoi maintenant ? Le monde professionnel n’a-t-il pas toujours été incertain ?

G.B. : C’est vrai, dans le monde des affaires, il y a toujours une dose d’incertitude. Ce qui est plus nouveau, c’est la rapidité. Le rapport au temps a changé, il y a une accélération de l’incertitude.

C’est la conjonction entre une digitalisation presque « universelle », qui impacte tous les métiers même les plus traditionnels, et l’accélération du temps qui renforce ce besoin de réagir face aux incertitudes. 

Cette formation [qui s’inspire d’une méthode de l’Armée américaine VUCA, acronyme de Volatility / Uncertainty / Complexity / Ambiguity - NDLR] aborde les points suivants :

  • Volatilité et incertitude : ce qui est vrai un jour ne l’est pas forcément le lendemain, ce qui remet en cause la planification et le raisonnement autour de modèles préétablis
  • Complexité : il est clair que le groupe gère des projets de plus en plus complexes. Il y a 66 ans la mission de Bouygues était simple : dans le contexte de l’après-guerre, construire de façon répétitive des bâtiments, le plus possible, le plus rapidement possible pour faire face à la demande. Aujourd’hui, la sophistication des projets est telle qu’un client n’attend plus une réponse sur un objet mais sur un ensemble cohérent qui inclut, au delà du bâtiment, la conception d’un quartier tout entier, les connexions avec les transports… Il faut alors apporter une réponse collective issue de plusieurs métiers aux rythmes parfois différents. Sur le marché des télécommunications ou dans le divertissement on a encore des modes de travail différents, au sein d’un groupe très diversifié ce qui est relativement rare en France.
  • Ambiguité : On peut la situer dans les systèmes de management. Les collaborateurs sont de plus en plus fréquemment placés face à des injonctions paradoxales : il faut faire plus, mais aussi différemment. Il faut être souple dans son management, mais arriver au même résultat. Il y a une pression issue de l’environnement concurrentiel et boursier, du système d’évaluation permanent de la société, mais il faut arriver à le faire de façon très éthique.

 

Il y a un réflexe dans les entreprises : comme les choses deviennent complexes, on essaie de tout « processer » pour mieux maitriser. L’enjeu, c’est qu’entre les processes il faut des liens. Les problèmes naissent toujours aux jonctions. Les objectifs de l’un ne sont pas toujours ceux de l’autre et c’est là qu’intervient l’ambiguïté. La difficulté dans cet univers morcelé, c’est de recréer un tout.

L’ambiguïté se situe-t-elle également entre les générations dans l’entreprise ?

G.B. : On a coutume d’opposer les générations mais en réalité je ne suis pas sûr que les gens soient si différents. C’est juste qu’ils n’ont pas le même niveau d’information quand ils arrivent dans l’entreprise. La défiance entre générations a toujours existé, la génération actuelle demande plus d’explications et il faut y passer plus de temps. Les aînés sont parfois mal à l’aise car le contexte changeant très rapidement, ils n’ont pas toujours les réponses. Il faut pouvoir le dire, il n’y a plus « le sachant » dans l’entreprise et le savoir est fragmenté.

Comment avez-vous pu amener les dirigeants à un certain "abandon" par rapport à leur posture de leader ?

Cette formation, on l’a dit, s’est déroulée dans le cadre de l’Institut du Management, dont l’objectif essentiel est de créer un espace de réflexion pour les collaborateurs. On y aborde des thèmes nouveaux, sans donner de directives mais plutôt dire : « Voilà pourquoi il faut s’intéresser à ce sujet dès aujourd’hui ». On raisonne à partir d’exemples, de nouvelles pratiques que l’on a identifiées. Les exemples sont suffisamment nombreux pour que chacun y trouve quelque chose de nouveau. Ensuite on leur demande s’ils y trouvent un intérêt pour leur activité, si cela leur semble applicable, et on les place dans un contexte où ils pourront en parler avec des collègues qui sont - ou seront - impactés chacun différemment et à un autre moment, donc assez librement. 

 

Nous avons demandé aux formateurs de nous offrir une large palette des changements technologiques et managériaux en cours comme matériau de réflexion et d’échange. Tout le monde n’est pas directement concerné par le social hacking dans son travail, mais si quelqu’un en parle dans l’équipe, le manager sera plus concerné. La réaction sur les premiers groupes test a été la surprise, mais aujourd’hui la demande est supérieure au nombre de places disponibles, grâce à un bouche à oreille très favorable.

Comment cette démarche peut-elle cascader dans l’entreprise ?

G.B. : C’est une nécessité dans le sens où nos jeunes collaborateurs ont bien souvent leur propre accès à l’information. Dans ce contexte il faut s’assurer que le manager est bien formé et accompagne l’acculturation digitale. Ensuite dans chaque filière, il y a une multiplicité de formats et de points d’attaque qui permettent cette diffusion, tels que les universités d’entreprise centrées sur les métiers.

 

Finalement, les formats et les thèmes changent mais l’esprit reste le même : à tout moment il faut s’intéresser à ce qui se passe autour de l’entreprise, et s’octroyer un temps de réflexion.

Nous le faisons avec les managers mais dans chaque métier il y a des dispositifs de cet ordre. A ce jour nous avons formé une centaine de managers sur l'incertitude, et nous continuerons, tout en modifiant régulièrement le format pour créer une appétence. Tout comme eux, on doit s’inscrire dans le changement. 

 

L’institut du management

Créé en 1999, cette structure se définit comme un espace virtuel de discussion et de partage.

Elle propose et labellise un ensemble dynamique de programmes aux thématiques et longueurs variées (de la conférence ponctuelle au programme sur 18 mois) au service des managers du groupe Bouygues.

On y aborde des problématiques liées aux métiers, mais aussi aux valeurs, avec par exemple un programme sur le respect. L’Institut se situe parfois aux avant-postes, comme sur le thème du développement durable.

Retrouvez tous les enjeux de la transformation RH lors du HUBDAY Future of Work le 15 novembre 2018 :

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