La pub Gillette, erreur stratégique ? Réponse grâce au Social Listening

La dernière publicité Gillette "The Best Men Can Be", sur le thème de la masculinité positive à l'ère #MeToo, a suscité de nombreux commentaires. Saluée par la profession, elle a pourtant subi une violente campagne de dénigrement en ligne, avec 75% de dislikes sur YouTube. Est-ce à dire que ce parti-pris de communication est un échec pour la marque ? Le Social Listening bien pratiqué permet de voir au-delà du backlash. Démonstration par l'exemple de Clément Brygier, CEO de Digital Insighters, pour le HUB Institute.
75%. Sur les 2,2 millions de likes/dislikes au total de la vidéo, 75% sont des dislikes. Nous ne parlons pas ici de la dernière vidéo polémique d’une émission politique, mais des statistiques Youtube de la dernière publicité Gillette “The Best Men Can Be”. Une analyse via un outil de Social Listening montre que 40% des mentions sur les médias sociaux sont négatives, contre 15% de positif (le reste étant le sentiment neutre). Le Brand Manager Gillette, pour être le responsable de cette publicité, doit-il démissionner ? Faisons-nous face à un des échecs de communication les plus impressionnants de ces dernières années ?

En mettant un peu de méthode dans une analyse de Social Media Intelligence, nous allons découvrir pourquoi penser que la publicité Gillette est un contresens qui peut être dangereux, et surtout pourquoi la publicité est en réalité un succès.
Attention aux résultats quantitatifs de votre outil de Social Listening :
A noter : les 45% restant de l’analyse du sentiment sont des mentions neutres.
On voit sur ce dashboard, tiré d’un outil de Social Listening, un pic de mentions équivalant à la sortie de la publicité, dont l’information importante citée précédemment : 40% des discussions sur la publicité sont négatives. En consultant les verbatims — des publications d’auteurs extraites des médias sociaux — on se rend vite compte de la virulence des attaques et critiques négatives ainsi que de certains appels au boycott.
La campagne a été récupérée par des politiques et la sphère conservatrice américaine, qui accusent la publicité d’être un problème pour la société ou même blasphématoire. Cependant, ces chiffres ne devraient pas faire peur à l’équipe marketing de Gillette, et les insights importants ne sont pas directement visibles grâce à l’outil.
Face à la crise : recentrer l’analyse sur la cible.
Gillette a plusieurs cibles sur le marché américain pour cette campagne : les « millennials », les femmes et les américains vivant dans les régions au plus fort potentiel économique.
- Les millennials : Une génération qui se rase moins mais qui sera la génération au plus fort pouvoir d’achat en 2020.
- Les femmes : Sur le marché US, les femmes contrôleraient entre 63% et 72% des dépenses du quotidien faites en retail. Elles ont logiquement une influence sur le choix des rasoirs.
- Les régions produisant le plus de richesse aux États-Unis : naturellement c’est là que le pouvoir d’achat est le plus élevé. Schématiquement sur les côtes Est et Ouest du pays et autour des grandes villes des états.
Il se trouve qu’il existe un point commun clair entre ces trois cibles démographiques, elles sont en majorité Démocrates. (D’ailleurs ce constat ne se limite pas qu’aux marques de rasoir et nous pourrions voir plus de publicités engagées aux États-Unis sur des valeurs progressistes. Scott Galloway, professeur de marketing à l’Université de New-York, appelle même cette tendance des campagnes alignées sur des valeurs progressistes, « Woke as a Business strategy ». On pense notamment à la publicité de Nike fin 2018.) Maintenant qu’on a éclairci le point de la cible, allons explorer l’analyse du sentiment.
Aller plus loin dans l’analyse du sentiment pour comprendre
L’enjeu est de comprendre cette négativité : Qui sont ceux qui s’expriment négativement ? Qui sont ceux qui ont bien reçu la publicité ? On sépare l’analyse : les hommes et les femmes favorables à la publicité ; les hommes et les femmes défavorables à la publicité.
A gauche : Médias que consultent les hommes et les femmes favorables à la publicité. A droite : Médias que consultent les hommes et les femmes défavorables à la publicité.
Il faut rappeler qu’aux États-Unis, le système politique est polarisé. Les américains sont globalement plus marqués par un parti politique qu’en France. Ils ont tendance à consommer plus de médias qui ont un positionnement réputé comme ayant des lecteurs/contributeurs plutôt Démocrates ou Républicains. Par exemple, Fox News est connu pour être un média Républicain suivi par des sympathisants Républicains.
Lorsqu’on regarde cette consommation de médias, le constat est clair : les personnes favorables à la publicité sont plutôt celles qui consomment et partagent des contenus démocrates. Et inversement, les internautes défavorables à la publicité sont plutôt des personnes qui consomment et partagent des médias républicains.
Dans ce contexte, on est capable de déduire que nous ne sommes pas en situation de crise auprès de notre cible, puisque notre cible féminine ou alignée « Démocrate » est favorable à la publicité. La situation de crise que nous pensions vivre provient plutôt des républicains qui ne sont pas dans la cible.
Au-delà du positionnement de Gillette sur une thématique sociétale forte, on peut donc conclure que la campagne de publicité Gillette est un succès. Même si les premiers résultats visibles étaient négatifs, on a de fortes chances de penser que les retombées pour Gillette seront positives dans les prochains mois.
Ce qu’on retient du Cas Gillette pour la stratégie marketing et le Social Listening
Premièrement, il ne faut ne pas se fier aveuglément aux résultats visibles des témoignages sur les réseaux sociaux, des opinions de spécialistes dans l’industrie, des données brut de votre outil de Social Listening ; ou bien de ces trois raisons à la fois. Dans le cas de cette publicité Gillette, penser que la réaction à la publicité est globalement hostile est un réel contresens. Les actions que mènerait Gillette dans une hypothèse où ils pensent que la publicité est un échec seraient dramatiques.
Nous sommes convaincus d’ailleurs que les ventes de P&G ne vont pas être affectées négativement par cette campagne et le défi à relever ne sera pas quelques boycotts idéologiques (mais plutôt l’attitude des consommateurs vis-à-vis du rasage par exemple).
Il faut aussi rappeler que les apprentissages de ce cas s’appliquent à tout type d’organisations et pas seulement aux marques internationalement reconnues :
- Une bonne analyse dépend d’une méthode qui englobe différentes data bien identifiées et comprises.
- Évaluer vos outils et vos process en amont de vos campagnes ou de vos crises évitera les mauvaises surprises.
- Il ne faut pas s’arrêter aux résultats du dashboard d’un outil, mais contextualiser les chiffres : en fonction de la cible, le pays, le sujet de votre publicité...
Une analyse de la digital data employant une méthode devient de plus en plus inévitable pour les entreprises aujourd’hui. Ce cas est un exemple marquant car la publicité a eu beaucoup de visibilité. Mais nous voyons dans toutes les entreprises avec lesquelles nous travaillons que les apprentissages de l’analyse de la digital data sont pertinents à tous les aspects des organisations : du marketing au RH, des enjeux stratégiques aux enjeux opérationnels.