Les 4P d’une transformation data réussie selon Equancy
HUB Institute : Quels sont les principaux enjeux de la data aujourd’hui ?
Didier Richaudeau, Directeur associé data chez Equancy : Les enjeux varient beaucoup selon les entreprises, et nombreuses sont encore peu matures sur le sujet. Pour ces dernières, il faut souvent déconstruire le préjugé selon lequel la data est génératrice de coûts… et prouver qu’elle est au contraire créatrice de valeur pour les entreprises ! Il est également nécessaire de faire preuve de pédagogie auprès des collaborateurs de l’entreprise, afin qu’ils soient convaincus du bien-fondé des actions orientées data, et apprennent à l’utiliser dans leur travail quotidien. Pour les entreprises plus matures, l’enjeu de l’acculturation des équipes est aussi important, car la data va potentiellement être utilisée par de nouveaux départements, pour lesquels il y a encore des zones d’ombre et où la maturité n’est pas encore là. Le deuxième challenge pour ces entreprises va également être d’accélérer le déploiement des cas d’usages, en répondant en parallèle aux besoins de recrutement, de gouvernance et de la qualité des données, etc.
Les enjeux vont également varier d’un secteur d’activité à l’autre :
- Pour le retail et le luxe, il s’agit d’optimiser continuellement la conversion des nouveaux canaux de distribution, l’expérience client, la maximisation des ventes SaaS ;
- Pour les services financiers , de nombreux challenges gravitent autour de l’amélioration de l’efficacité opérationnelle, la productivité, l’automatisation ;
- Pour les industries B2B, il est nécessaire d’apporter de la valeur additionnelle aux services existants, ou créer de nouvelles lignes business.
Hervé Mignot, Directeur associé data science, technologie et R&D chez Equancy : Les enjeux autour de la transformation data des organisations sont multiples. Pour les décrire, nous parlons chez Equancy des "4P" :
- Process : comment l’entreprise va-t-elle mettre en place des outils basés sur la data pour piloter sa stratégie?
- Plateformes : comment l’entreprise va-t-elle déployer des plateformes techniques et technologiques afin d’exploiter et valoriser la donnée ?
- People : quelle organisation mettre en place, que ce soit auprès des spécialistes du sujet ou des collaborateurs qui vont être amenés à utiliser cette donnée ?
- Purpose : une thématique qui prend de plus en plus d’importance aujourd’hui, et concerne le « Pourquoi », le sens que l’on donne à la collecte et au traitement des données.
HUB Institute : La refonte des processus est l’un des chantiers prioritaires des entreprises, et est d’autant plus nécessaire et accéléré par la crise de la COVID-19. Quels sont les grands enjeux de cette transformation et comment la data aide à mettre en place des processus plus efficients et résilients ?
DR : La data agit sur les process de l’entreprise à travers 3 axes distincts. Le premier concerne l'amélioration, c’est-à-dire faire mieux et plus vite. Cela se traduit, par exemple, par l’automatisation du traitement des e-mails entrants afin de trier les demandes et les envoyer directement aux bons interlocuteurs, par la lecture automatique de contrats sans intervention humaine, etc. Le deuxième axe va être celui de la création de nouveaux process afin de répondre aux enjeux d’omnicanalité et de rebonds entre les canaux. Ces derniers ont souvent été construits en silos, et la data va permettre de créer des ponts de manière à fluidifier le rebond entre tous les canaux, qu’ils soient digitaux ou physiques. Enfin, le dernier axe est celui de l’augmentation des capacités des collaborateurs. La bonne utilisation de la donnée va leur permettre d’être plus efficaces, grâce à l’apport d’informations à haute valeur ajoutée, leur permettant par exemple de savoir à quel moment telle intervention auprès d’un client sera la plus opportune.
HUB Institute : Les entreprises restent encore tributaires d’un héritage technique qui, souvent, les empêche d’exprimer leurs pleins potentiels. Comment peuvent-elles dépasser cet héritage et déployer à l’échelle les projets basés sur la data ?
HM : Nous vivons actuellement un âge d’or de la data, au sens où nous disposons d’une énorme quantité de données. Si beaucoup sont encore sur une approche assez artisanale de la data, avec des petites équipes qui doivent prouver les bienfaits de leurs actions, on remarque que l’on bascule petit à petit vers une approche plus industrielle. Chez Equancy, nous travaillons au quotidien sur deux forces technologiques qui permettent aux entreprises d’exprimer leurs pleins potentiels vis-à-vis de la donnée :
- L’Open Source, qui permet à des entreprises de toutes tailles de bénéficier de ce qui se fait de mieux en termes de logiciel, et ce quelles que soient leurs capacités propres. C’est d’autant plus intéressant que ces technologies sont souvent le fruit de très grandes entreprises, et bien souvent les GAFAM, qui vont mettre à disposition les algorithmes qu’elles développent, mais également les modèles d’apprentissages. Via des process de Transfert Learning, il devient alors possible d’adapter ces modèles à ses besoins particuliers.
- Le Cloud, car il permet de démarrer petit, tout en envisageant de travailler grand. Du fait qu’il n’y ait pas de charges d’exploitation ou d’administration, on peut en quelques clics seulement faire monter en puissance son infrastructure.
Il est intéressant de remarquer que, à mesure que les projets data s’industrialisent, ils suivent la même histoire que les projets de l’industrie logicielle. De plus en plus adoptent des démarches DevOps, MLOps dans ce cas précis, et ont pour objectif de réduire les temps de mise en production, de faciliter la maintenance… De la même façon, les plateformes data des entreprises commencent de plus en plus à être présentées sous forme de services, que d’autres applications vont pouvoir consommer via des API.
HUB Institute : Si les entreprises ont longtemps joué la carte de l’acculturation et de l’évangélisation, comment peuvent-elles aujourd’hui aller plus loin pour mettre la donnée au cœur des activités de leurs collaborateurs ?
DR : La question de l’humain est une question cruciale. D’autant plus cruciale que certaines entreprises mobilisent autant de personnes pour gérer le change management que de personnes pour gérer le projet data en tant que tel. Cela prouve bien que, pour la réussite d’un projet, il est primordial d’accompagner au changement des métiers qui vont se transformer. Il va falloir accompagner les collaborateurs de l’entreprise dans ces nouveaux usages... d’autant plus que souvent, de nombreux freins à cette transformation apparaissent ! Tout cela va passer par l’acculturation, et en mobilisant les opérationnels en amont des projets afin qu’ils participent à la création des solutions qui leur sont destinées. Cela passe également par la formation, à la fois des profils data sur les nouvelles technologies, mais aussi des métiers dans l’usage qu’ils vont faire de la donnée. Il ne faut également pas oublier l’IT, qui peut avoir peur du Cloud, car il représente une potentielle perte de pouvoir.
Comme la transformation digitale, la transformation data apporte de nouveaux modes de travail très collaboratifs, qui vont inclure des personnes qui n’ont potentiellement jamais travaillé ensemble. Vous allez avoir dans une même équipe des collaborateurs issus du métier pour lesquels la solution est développée, des data scientists ou des personnes de l’IT qui vont anticiper le déploiement des cas d’usages. Il est primordial de faire travailler en symbiose ces profils, car ils apportent tous une valeur ajoutée : c’est la somme de leurs 3 types de compétences qui va faire le succès du projet.
Le dernier challenge du P de people, c’est la guerre des talents. Certes, on dispose aujourd’hui de davantage de profils sur le marché, mais des talents aguerris et expérimentés, il y en a très peu et toutes les industries en ont besoin. Il s’agit d’une véritable guerre des talents pour les recruter, mais également pour les fidéliser ! Et la meilleure façon de retenir un talent dans ce milieu, c’est encore de lui apporter des projets innovants à forte valeur ajoutée, tout en lui offrant l’opportunité de s’ouvrir aux communautés data externes.
HUB Institute : Les consommateurs et les régulateurs attendent des entreprises qu’elles fassent preuve de davantage de transparence et d’engagement. Que doivent-elles faire pour répondre à ces attentes ?
HM : C’est ici que le 4ème P, le purpose, entre en jeu. Le purpose, c’est donner du sens à l’exploitation des données. Cela vaut autant pour les clients et prospects de l’entreprise que pour les collaborateurs. Pour prendre un exemple concret, je vous invite à vous rendre en navigation privée sur le site du journal Le Monde. Vous remarquerez un bandeau qui cache l’essentiel de l’écran et qui vous explique pourquoi le quotidien a besoin de récolter certaines de vos données. Libre à vous alors d’accepter les cookies, ou bien de vous abonner pour naviguer sans publicité. C’est une attitude très responsable de la part du journal que d’expliquer le pourquoi de ce tracking. A contrario, d’autres sites de presse vont adopter une approche radicalement différente et rendre la gestion du consentement très complexe, de manière à ce que le visiteur accepte tout. C’est, finalement, un dispositif qui incite assez peu à la confiance et qui peut même pousser les internautes à tout refuser par principe. C’est une réaction normale que de vouloir avoir une explication quant au sens de la collecte de ses données personnelles.
Ce besoin de sens vaut également pour les algorithmes, où l’on va vouloir s’assurer que l’entreprise met en place un certain nombre de dispositifs pour garantir un traitement de la donnée sans biais cognitifs. Les législateurs en Europe ont déjà commencé à se pencher sur le sujet, mettant en place une série de régulations pour éviter ce type de problèmes, et forcent aujourd’hui les entreprises à établir une stratégie sur le sujet. On remarque également une demande montante de la part des collaborateurs vers plus d’éthique dans l’usage de la donnée par l’entreprise. Cela est particulièrement visible aux USA, et notamment chez les GAFAM, où des groupes de paroles se créent afin de demander à l’entreprise de mettre en place des garde-fous pour que les employés ne travaillent pas sur des sujets qui ne correspondent pas à leurs valeurs.
Cette notion de purpose va devenir de plus en plus importante dans les mois et années à venir. Le champ d’action est vaste et peut se rattacher à tout ce qui tourne autour de la data dans l’entreprise. Il ne s’agit pas tant de faire de la "data for good" que de voir comment la donnée peut améliorer les choses sans induire de la discrimination, ou d’autres choses que l’on considère comme peu éthique ou équitable.