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Mobilités : faut-il obliger les plateformes à partager leurs données avec les villes ?

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Mobilités : faut-il obliger les plateformes à partager leurs données avec les villes ?

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Vélos, scooters, trottinettes… Les plateformes de "Mobility as a Service" (MAAS) offrent aux citoyens des moyens de locomotion complémentaires des transports publics. Mais le déploiement massif de flottes privées doit être encadré, prévient Thibaud Febvre, fondateur de Vianova, notamment pour obliger les acteurs privés à partager des données essentielles. Interview.

HUB Institute : Vous êtes l’auteur du "Practical Guide to Mobility Data Sharing & Personal Privacy under GDPR ruling" à l’adresse des villes. Pourquoi ce guide ?

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Thibaud Febvre : Les villes manquent cruellement d’expertise digitale et d’outils pour gérer l’activité de nouvelles plateformes de mobilité sur leurs territoires. Rien que cette appellation "plateforme de mobilité" est inhabituelle pour ces administrations, tant du point de vue opérationnel que juridique.

Auparavant, les modèles de mobilité prenaient la forme de transporteurs répondant à des appels d’offres et assurant des services linéaires, d’un point A à un point B. Désormais, nous avons des plateformes qui n’assurent plus directement le transport et qui peuvent installer leurs services sans répondre à un appel d’offres, qui est justement le principal moyen de contrôle des villes à l’heure actuelle. Dès lors, comment travailler en bonne entente avec de tels opérateurs privés ?

Notre guide défend une vision : systématiser la signature d’un accord de licence qui cadre le partenariat entre villes et plateformes privées de mobilité, notamment en matière d’échanges de données.

HUB Institute : À quels enjeux des villes doit répondre cet accord de licence ?
TF : Tout se résume en deux termes : contrôle et régulation. L’hypervision des données d’activité de ces opérateurs privés permet aux villes de réguler leur activité, mais aussi d’évaluer l’utilisation réelle des citoyens.

Cela leur donne des informations importantes pour orienter le budget, la planification de l’urbanisation et l’aménagement du territoire (installation de nouvelles places pour trottinettes dans les quartiers où elles sont le plus utilisées, etc.). D’autant qu’un territoire bien aménagé profite directement aux opérateurs privés.

Les villes ne sont pas défavorables à l’introduction de nouveaux moyens de locomotion, en particulier s’ils répondent aux désirs des citoyens : être pratiques et durables. Encore faut-il s’assurer que le déploiement de ces flottes privées ne provoque pas d’anarchie, comme l’on a pu le voir à l’arrivée de services automobiles, ou plus récemment de trottinettes.

HUB Institute : Quel autre avantage les villes peuvent-elles tirer d’un tel accord ?
TF :
Ce serait aussi un bon moyen pour elles de générer des recettes supplémentaires. Si la ville est en mesure de déterminer en temps réel où se situent les appareils de la flotte privée, elle peut aussi évaluer et monétiser l’occupation de son espace public.

Cela peut être une solution pour les villes qui cherchent à réduire voire supprimer l’automobile individuelle : elles vont devoir pallier le manque à gagner induit par cette stratégie, qui conduira inévitablement à la disparition progressive d’une importante source de revenus (stationnements payants, etc.).

HUB Institute : Qui est concerné ?
TF : Toutes les plateformes privées de MAAS. Cela implique aussi les opérateurs de transport de marchandises, notamment dans le secteur du e-commerce. De tels services se multiplient chaque année en centre-ville, avec un impact certain sur la fluidité des flux de mobilité. Par ailleurs, les moyens de livraison pourraient bientôt impliquer des robots et des drones, avec des enjeux de maîtrise encore plus complexes pour les villes.

HUB Institute : Dans cette relation entre villes et opérateurs privés, quel rôle joue Vianova ?
TF : Schématiquement, il y a d’un côté la source de données – l’opérateur privé – et de l’autre côté le contrôleur de ces données – la ville. Vianova se positionne comme le processeur de ces données, c’est-à-dire un tiers de confiance permettant une collaboration transparente et en bonne intelligence entre la ville et les opérateurs.

Nous réalisons tout le travail de triage et de mise en forme des données pour que les informations remontées à la ville soient conformes à ses besoins en termes de lisibilité et de gestion. Pour l’opérateur privé, nous assurons que cet échange soit réalisé en toute sécurité, c’est-à-dire en conformité avec le RGPD mais aussi en garantissant la confidentialité de données potentiellement stratégiques pour leur business.

HUB Institute : Les services publics ont aujourd’hui l’obligation de partager leurs données (quand elles peuvent l’être) en Open Data. Pourtant, dans votre guide, vous émettez plusieurs avertissements. Alors "open or not open" ?
TF : La vocation de l’Open Data est de fournir des informations utiles à l’utilisateur final, ici : le voyageur. Les données des transports publics (horaires, position des arrêts, événements particuliers, localisation des véhicules…) sont systématiquement ouvertes afin de permettre à des tiers de proposer des services pour améliorer l’expérience des citoyens.

Cette ouverture se généralise de plus en plus à tous les modes de mobilité, y compris pour certains acteurs privés qui communiquent ouvertement la position en temps réel de leurs véhicules (c’est ainsi que vous savez depuis une application où se trouve la trottinette libre la plus proche). Mais il est évident que toutes les données n’ont pas vocation à être ouvertes.

C’est à nous, en tant que processeur de ces données, de distinguer celles qui peuvent être ouvertes au public et celles qui doivent rester seulement entre les mains du régulateur.

HUB Institute : Comment le RGPD entre-t-il en ligne de compte ?
TF : En France, il y a très peu de data centers exploités directement par les services publics. Nous stockons les données pour les villes car la majeure partie d’entre elles n’ont pas les infrastructures nécessaires. Mais Vianova n’est pas propriétaire de ces données. Nous les traitons pour assurer la conformité des échanges entre le domaine public et privé.

Le RGPD entrant naturellement dans la réglementation de ces échanges, nous nous sommes dotés d’un DPO (tout comme de plus en plus de villes) qui nous apporte l’expertise nécessaire pour que ce traitement des données soit effectué dans le respect du droit et des législations en vigueur.

HUB Institute : Si vous deviez citer une ville européenne faisant office d’exemple en la matière ?
TF :
Nous travaillons avec Bruxelles depuis près de 6 mois maintenant. Nous avons réussi à rassembler autour de la table un grand nombre de parties prenantes (des organes de gouvernance de la ville, et agences d’aménagement du territoire, aux opérateurs privés et acteurs de la mobilité urbaine). Cela a déjà permis de fournir un certain nombre de résultats probants en matière d’analyse des flux de mobilité, mais aussi en termes de planification urbaine.

Par exemple, nous sommes en train d’aider la ville à définir des hubs de mobilité, comprenez des espaces de stationnement spécifiques pour les flottes privées (en fonction des zones « chaudes » où elles sont le plus exploitées par les citoyens). Ces zones seront géocodées virtuellement afin de permettre à la ville de vérifier si elles sont respectées par les acteurs privés.

HUB Institute : Et en France ?
TF :
Je pense qu’un bon cas d’école serait la ville de Marseille. Elle a été la première à mettre en place un appel d’offres pour sélectionner trois opérateurs de mobilité réglementaires. Cet appel d’offres intégrait toute une partie définissant l’échange obligatoire de données entre ces acteurs privés et la ville.

Reste à voir dans quelle mesure cet échange de données sera appliqué dans les faits. N’en reste pas moins que l’intention est là, et que de plus en plus de villes françaises tentent de faire de même.

HUB Institute : Toutes les villes n’ont pas la même maturité digitale, ni le même pouvoir. Est-il possible d’envisager de tels accords de licence à l’échelle de métropoles ou encore de départements ?
TF :
Tout d’abord, notons que, dans un premier temps, la majorité des opérateurs privés n’iront que très rarement dans des villes ne leur permettant pas d’atteindre rapidement une masse critique d’utilisateurs et des résultats business. Les petites villes et villages risquent donc, de profiter plus tardivement des nouveaux modes de mobilité…

Pour les villes de moyenne envergure, il est effectivement envisagé à plusieurs endroits d’Europe de mutualiser les accords de licences entre communes, ou directement à l’échelle des métropoles. En France, nous avons eu des échanges avec la Métropole de Bordeaux qui l’envisage. À Anvers, ou encore dans le sud du Portugal, de tels travaux sont déjà avancés.

Conclure des accords à cette échelle simplifierait grandement les efforts administratifs pour les communes. Cela profiterait aussi aux opérateurs privés qui pourraient directement adresser des zones plus larges et atteindre cette masse critique dont ils ont besoin.

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