4 clés pour une gouvernance de l'innovation à l'ère post-covid
Par Alex Bauer, directeur général d'IBM Consulting France, Marc Bensoussan, senior advisor strategy; transformation d'IBM France, et Perle Bagot, directrice associée du Hub Institute
Donner du sens
Citoyens-consommateurs, collaborateurs et dirigeants sont tous d’accord : l’activité économique doit retrouver du sens, entre dynamique privée et valeurs partagées. Ce lien s’exprime dans un environnement beaucoup plus digital, alors les marques adaptent leur stratégie. Pour Picard Surgelés, il s’agit de toucher de nouveaux publics, sensibles aux atouts environnementaux du produit, via une distribution omnicanale. La société de services de propreté Onet prend, elle, en compte le critère de la performance environnementale dans l’intéressement de ses managers.
En prérequis, la data doit être une source de confiance pour les consommateurs, comme le pensent 72% des dirigeants d’entreprise, selon l'IBM Global AI Adoption Index de mai 2021. Par exemple, la place de marché Back Market capte les données de pannes de ses marchands, identifie les composants vulnérables des smartphones, et acquiert des composants alternatifs pour améliorer la fiabilité des produits. A la clé : une plus grande confiance dans le secteur de la seconde main et un impact environnemental amélioré.
S'ouvrir sur son écosystème
La logique d’écosystème offre des solutions innovantes pour atteindre plus rapidement de grands objectifs : Astra Zeneca et GSK font par exemple front commun et créent un bracelet électronique pour maintenir à domicile les patients atteints de pathologies respiratoires.
Le consommateur informé et conscient est acteur de ces plateformes : 84% des dirigeants affirment que l’expérience client sera une priorité sur les deux prochaines années, selon une étude du IBM Institute for Business Value, mais seuls 10% des entreprises indiquent que leurs clients contribuent à l’innovation en termes de produits et services. Pourtant la marque C’est qui le Patron ?! fait - avec succès - participer les consommateurs au cahier des charges de ses produits, leur donnant toutes les clés pour faire eux-mêmes les arbitrages entre prix, qualité et rémunération des producteurs.
L’ouverture est également visible dans la vie réelle. Avec la pérennisation du télétravail et le flex-office, 40% des surfaces de bureau sont libérées pour de nouveaux usages. Le Conseil régional d’Ile de France ouvre ainsi ses locaux à ses parties prenantes pour en faire un lieu d’échanges et de rencontres.
L’ouverture et la sécurisation, autrefois antithétiques, se rejoignent aujourd’hui pour créer de nouveaux environnements. Renault le prouve avec sa plateforme blockchain Exceed dédiée à la conformité des pièces détachées sur leur cycle de vie, qui réunit aujourd’hui 70 acteurs européens de l’industrie automobile.
Pour rendre possible l’ouverture, la cybersécurité devient un sujet de premier plan dans les Comex. L’année 2020 a vu le nombre de cyberattaques multiplié par quatre et des attaques ciblant les hôpitaux ont rappelé les conséquences de cette criminalité.
Hybrider
L’hybridation homme/machine investit le quotidien : les collaborateurs du Crédit Mutuel ou d’EDF utilisent une IA pour réaliser des tâches à faible valeur ajoutée, améliorer la connaissance client et se concentrer sur la valeur humaine.
Dans le domaine industriel, le jumeau numérique permet d’évaluer plus rapidement l’impact d’un changement de mode de production. En croisant les flux de passagers ou marchandises, et la simulation digitale, l'aéroport de Hong Kong et le port de Rotterdam ont ainsi pu obtenir de meilleurs résultats économiques et écologiques, selon une autre étude du IBM Institute for Business Value.
Avec l’allongement de la crise covid, s’ajoute l’hybridation durable entre vie professionnelle et personnelle. Pour un salarié sur trois, l’équilibre vie pro / vie perso est l’enjeu professionnel numéro un des cinq prochaines années, d'après une étude Ifop pour Freelance.com. Et après la crise, 53% des actifs pensent à une reconversion professionnelle. Un nouveau «future of work» est à construire. Chez ING par exemple, le distanciel change le recrutement : la disponibilité est meilleure et l’abandon en cours de route moins fréquent.
Enfin, la numérisation de l’économie entraîne une hybridation des secteurs d’activité. Avec l’avènement de l’économie de l’expérience, les barrières entre secteurs tombent. Ainsi 51% des PDG du secteur bancaire estiment qu’à l’avenir la plus forte concurrence viendra des autres secteurs.
Accélérer
C’est un fait inédit : les pays, les métiers et les institutions ont collaboré pour mettre au point un vaccin contre la Covid-19 en huit mois, là où dix ans étaient nécessaires auparavant. Et l’AP-HP n’a eu besoin que de quelques jours pour former et basculer des milliers de médecins en téléconsultation.
Cette accélération rendue possible par la technologie s’applique à toutes les organisations. Pour 56% des CEO, améliorer l’agilité et la flexibilité opérationnelle est la priorité essentielle dans l’ère post-pandémique, toujours selon l'IBM Institute for Business Value.
Savoir innover et délivrer rapidement est essentiel dans la compétition, en particulier avec les stop & go de l’année 2021. Les méthodes agiles se sont désormais établies durablement dans les modes de travail, comme chez Groupama. Dans le domaine SI, Schlumberger s’appuie sur le principe «Write once, deploy anywhere» (écrire une fois, déployer n'importe où) pour un développement des applications et un déploiement rapide des services.
Enfin, le blocage de l’Ever Given dans le canal de Suez l’a montré : la supply chain est un enjeu majeur. Un PDG français sur deux déclare être confronté à la réingénierie de la chaîne d’approvisionnement.
La digitalisation, réservée avant la crise à des secteurs ou des métiers parfois annexes, s’est déployée dans le core business des entreprises. Cela a nécessité du courage et une posture managériale résolument impliquée dans la résolution des problèmes. Plus que jamais, l’entreprise apprenante est le mode de pensée qui permet de passer de la marche forcée à des équipes qui créent, pilotent, se forment en exerçant leur libre arbitre dans le collectif. Les défis environnementaux nécessitent cette démarche systémique. Tout en faisant leur propre aggiornamento en matière de sobriété environnementale, les technologies se mettent au service de ces objectifs à accomplir tous ensemble.
Tribune parue dans Stratégie, à retrouver ici