EIT InnoEnergy : Les enjeux de la réindustrialisation du PV en Europe
HUB Institute : Quel est le contexte de la réindustrialisation du PV en Europe face à la montée en puissance de la Chine ?
Karine Vernier : Actuellement, la Chine occupe une position dominante sur le marché du photovoltaïque, notamment dans la fabrication de panneaux solaires. Ce n'était pas le cas dans les années 90, où l'Europe disposait d'un marché solide. Cependant, les produits chinois étant moins chers, l'industrie européenne s'est progressivement réduite, laissant aujourd’hui une place prépondérante à la Chine. Malgré cela, certaines entreprises européennes ont su perdurer et faire valoir leur savoir-faire, et des laboratoires de recherche compétents, tels que le CEA-INES et l’IPVF, continuent de contribuer à la recherche en Europe. Face à cette réalité, combinée aux enjeux de souveraineté émergents suite à la crise en Ukraine et à la pandémie de Covid-19, il est devenu indispensable de retrouver la souveraineté européenne dans le domaine photovoltaïque.
Ainsi, la Commission européenne a lancé l'alliance européenne du photovoltaïque, connue sous le nom d'ESIA (European Solar PV Industry Alliance). Cette alliance vise à fédérer l'ensemble des acteurs industriels de la chaîne de valeur solaire en Europe, en travaillant avec l'Europe pour définir les conditions d'une réindustrialisation réussie. L'objectif est de produire des panneaux photovoltaïques européens à des coûts acceptables et de favoriser leur achat par les consommateurs. L'alliance a été lancée fin 2022 et compte aujourd’hui plus de 120 membres dans 17 pays d’Europe, illustration d’un mouvement important de coordination industrielle au-delà des clivages et des préoccupations liées à la concurrence. Elle s’organise en groupes de travail thématiques qui remettent des propositions à la Commission européenne.
Comment les lois sur l'accélération des énergies renouvelables et sur l'industrie verte contribuent-elles à la réindustrialisation du PV en France ?
K.V : Ces lois ont pour objectif d'accélérer toutes les procédures de permitting. Par exemple, si vous envisagez de construire une usine de production de cellules photovoltaïques, la loi sur l'industrie verte permet de réduire le délai d'obtention du permis de 17-20 mois à moins de 12 mois. De même, si vous êtes un développeur souhaitant implanter des installations photovoltaïques sur des toitures par exemple, la loi d'accélération des énergies renouvelables permet de gagner du temps dans le processus de permitting. Ces lois sont complémentaires et extrêmement utiles, car elles reconnaissent l'importance du permitting tout en veillant à ce que les délais associés ne deviennent pas un obstacle insurmontable.
Comment le marché du photovoltaïque en Europe se structure-t-il avec l'arrivée de nouveaux acteurs et le lancement de l'ESIA (European Solar PV Industry Alliance) ? Et quels impacts ?
K.V : Dans un marché émergent, on doit se féliciter de l’émergence de nouveaux acteurs, ils contribuent à renforcer la filière tant dans sa structuration que dans sa crédibilité. L'ESIA a pour mission de fédérer les acteurs du secteur autour d’une même chaîne de valeur et autour d’enjeux communs. Elle facilite la collaboration entre les industriels qui opèrent sur la même chaîne de valeur. L'ESIA agit en tant que catalyseur et interlocuteur auprès des autorités européennes, et elle est au service de la coalition européenne. C'est son essence même et sa raison d'être.
Quels sont les principaux défis et opportunités pour atteindre les objectifs de renforcement et de protection de la filière PV en Europe ?
K.V : Les défis pour atteindre ces objectifs résident notamment dans la nécessité de contraindre l'entrée des panneaux photovoltaïque chinois sur les marchés européens. Si nous nous limitons aux critères liés aux émissions de CO2, cela ne suffira pas, car nous ne devons pas sous-estimer l'adaptabilité et les compétences des fabricants chinois. Il est donc crucial de mettre en place des règles de marché et des mesures de protection qui garantissent que les panneaux fabriqués en Europe trouveront leur place sur le marché. Dans ce contexte, les considérations éthiques et sociales sont également importantes. De plus, il est essentiel de privilégier un contenu local, car il est difficile d'imaginer que nous continuions indirectement à subventionner l'industrie chinoise lors de l'installation de capacités photovoltaïques, sans réel bénéfice pour l'économie européenne et française.
Ainsi, le contenu local doit avoir un poids significatif, de manière à ce que toutes les retombées liées aux panneaux solaires, telles que la création d'emplois dans la production, la maintenance et le recyclage, se traduisent par des emplois en Europe, contribuant ainsi à la croissance économique et à la création de richesse.
Enfin, n’oublions pas les expériences douloureuses vécues par certains industriels dans les années 90. La filière est prudente, relancer une filière est un engagement coûteux. Il faut accompagner le secteur industriel en mettant en place un accompagnement financier de la part de l'Europe et des États membres, ainsi que des engagements d'achat public. Ces mesures permettront aux industriels de s'engager.
Quels sont les enjeux de formation et de compétences dans la réindustrialisation du PV en Europe ? Comment les acteurs peuvent-ils développer les compétences nécessaires pour soutenir cette transition ?
K.V : Nous constatons un besoin massif en compétences à l'échelle européenne. Ce besoin couvre tous les maillons de la chaîne de valeur, des lingots aux modules, et tous les niveaux d’études et d’emplois. À titre d’illustration, une usine de production de cellules et de modules photovoltaïques, d’une capacité de 5 gigawatts, nécessite environ 3 000 personnes de tous niveaux. Plusieurs ont déjà été annoncées. Il va falloir trouver les ressources humaines au sein de ces usines. Au sein d’EIT InnoEnergy, nous agissons sur la formation académique (formation d’étudiants dans le cadre de masters Européens) et sur la formation professionnelle (nous développons des formations que nous mettons à disposition des organismes de formation), cela permet de déployer rapidement des programmes de formation uniformes dans chaque pays européen, garantissant aux salariés une mobilité professionnelle à travers toute l’Europe.
Sur le sujet de la formation, l’alliance européenne joue également son rôle. Les acteurs du secteur se mobilisent dans une approche collaborative et orientée vers la filière, avec une convergence d’intérêts. Cette dynamique positive est clé pour agir rapidement, de manière coordonnée et coopérative pour soutenir le développement des compétences photovoltaïques en Europe.