Florent Courau, JD.com : « Le concept de 'retail-as-a-service' est au coeur de notre proposition de valeur »
Maud Vincent, rédactrice en chef, HUB Institute : Si l’on connaît bien le géant chinois Alibaba, on connaît moins JD.com en France alors que votre plateforme ecommerce rassemble plus de 300 millions de clients actifs par mois. Quelle est votre proposition de valeur et qu’est-ce qui vous différencie de votre concurrent principal en Chine, Alibaba ?
Florent Courau, DG France, JD.com : Notre business model est celui de l’achat. Comme Amazon, JD.com a commencé à acheter des produits et à les vendre. Aujourd’hui, on réalise 60% de nos ventes via le modèle wholesale et 40% en marketplace. L’intégrité des produits est au cœur de notre proposition de valeur. Face à des pratiques massives de contrefaçon, les consommateurs chinois comme les marques étrangères recherchent des garanties. C’est la raison pour laquelle nous avons créé une plateforme dite "cross-border" qui distribue uniquement des produits importés dont nous garantissons l’origine et la qualité. Pour nos clients chinois, acheter chez JD.com, c’est l’assurance absolue de la non contrefaçon. Il faut savoir que les Chinois sont extrêmement sensibles à la nature importée des produits, notamment dans la cosmétique.
M.V. : Autrement dit, la valeur de votre plateforme ecommerce repose sur la promesse de la non contrefaçon ?
Si la contrefaçon existe partout dans le monde, elle est particulièrement forte en Chine. C’est un chiffre qui remonte à quelques années mais qui donne l’ampleur du phénomène : 40 % du vin rouge vendu en Chine est contrefait et il n’est pas rare de retrouver sur le marché des grands crus dont le volume des bouteilles est trois fois supérieur aux capacités maximum de rendement... Selon un rapport d'Europol, 86% de la contrefaçon mondiale en 2015 provenait de la Chine. En garantissant l’intégrité absolue des produits, leur fiabilité mais aussi une expérience client optimale, JD.com a su séduire les marques comme les consommateurs chinois et a construit une croissance extraordinaire : on a enregistré 55,7 milliards de dollars de chiffres d’affaires, ce qui fait de nous la troisième entreprise internet au monde en termes de revenus après Amazon et Alphabet.
M.V. : Outre l’intégrité des produits, quelle est votre vision de l’expérience client et quel rôle y joue la technologie ?
F.C. : JD.com est une société d’ecommerce mais aussi une société de logistique et de technologie. Ces trois piliers de notre modèle d’affaire se sont développés de concert même si nous avons aussi des offres commerciales pour chaque verticale. A l’instar d’Amazon et au contraire d’Alibaba qui se repose sur un réseau sous-traité, JD.com a fait le choix de construire un réseau logistique en propre. Le fait de posséder nos entrepôts nous engage davantage dans l’authenticité des produits et nous permet de mieux maîtriser la livraison. On a aujourd’hui plus de 500 entrepôts et on livre 99% de la population chinoise, avec un délai de moins de 24h pour 90% des commandes.
JD.com s’est bâti un leadership mondial en matière de technologie de livraison. On exploite ainsi 7 types de drone qui parcourent plus d’une centaine de routes commerciales, notamment en zone rurale. La livraison est quasi immédiate, proche de 7 minutes en moyenne, et décharge les routes des camions. Si Amazon s’est retrouvé coincé face à la règlementation américaine, JD.com a pu bénéficier d’une souplesse réglementaire et d’un soutien du gouvernement, particulièrement actif en matière de technologie.
On a aussi des véhicules autonomes en opération sur des campus universitaires à Pékin et que nous commençons à déployer dans les villes telles que la smart city de Tianjin comme des points de collecte des achats internet, et ce à toute heure de la journée.
Enfin, l’intelligence artificielle est au cœur de notre politique d’innovation et de R&D avec beaucoup d’applications sur la logistique, mais aussi sur la tarification intelligente, la détection des fraudes et le marketing ciblé.
M.V. : Vous avez bâti des alliances fortes avec Tencent en Chine, ou bien encore Walmart aux Etats-Unis. Pour quelles raisons ?
F.C. : Notre partenariat avec Tencent est en effet très important. Actionnaire de JD.com avec 20% au capital, Tencent nous offre un canal d’acquisition et de monétisation client très puissant avec WeChat qui rassemble plus d'1 milliard d’utilisateurs. Sur les dizaines de milliers de nouveaux clients qui rejoignent la plateforme chaque mois, 25% proviennent de WeChat. Grâce à cette coopération, on intègre les expériences clients entre les réseaux sociaux et les réseaux commerciaux. C’est un peu comme si Facebook et Amazon étaient intégrés.
Par exemple, si vous regardez votre KOL préféré sur WeChat qui présente un rouge à lèvre, vous pouvez cliquer sur le produit et vous arrivez sur JD.com. Si vous n’aviez pas de compte préalable, en un clic on vous en ouvre un car vous aviez vos coordonnées bancaires et de livraison enregistrés dans WeChat. Et en un clic suivant, vous confirmez la commande et vous êtes livré le jour même ou le lendemain.
L’autre valeur ajoutée de ce type de partenariat réside dans le partage de data car cette mutualisation offre des capacités de ciblage marketing exceptionnelles.
C’est une logique d’écosystème gagnant-gagnant. Je suis frappé par la manière dont aux Etats-Unis, les GAFA ont des territoires relativement fixés avec une tendance au monopole quand, en Chine, les géants de l’Internet ont opté depuis longtemps pour le décloisonnement prenant la forme d’un écosystème de tissus d’entreprises partenaires.
M.V. : Est-ce la même logique qui sous-tend votre partenariat avec Walmart, premier distributeur américain ?
F.C. : Oui, à l’instar de notre accord avec Tencent, notre alliance avec Walmart est à la fois capitalistique (le distributeur possède 10% du capital de JD.com) et s’inscrit dans une stratégie industrielle de long terme avec une vision gagnante-gagnante. Pour Walmart, cette alliance lui permet de se distinguer face à la menace d’Amazon. De notre côté, JD.com a pu accéder à une offre américaine de produits qu’on propose à nos clients chinois.
Par ailleurs, nous proposons des prestations croisées notamment en matière logistique : en Chine, JD.com se charge de l’exécution logistique de Walmart. Nous délivrons aussi ce service à d’autres marques comme Danone Waters par exemple où JD.com fait tout, de la construction à l’exploitation de l’entrepôt.
Le concept de "retail-as-a-service" est au coeur de notre proposition de valeur et de notre modèle d'affaire : en tant que société de technologie, on propose des service de retail, de logistique et d’intelligence artificielle, et ce même si les marques intéressées ne distribuent pas leurs produits sur notre portail ecommerce. Cette culture du service est très forte au sein de JD.com et nous permet de nous différencier sur le marché. Nous avons ainsi lancé JD luxury express, un service de livraison haut de gamme avec des livreurs en gants blancs.
M.V. : La France est le premier pays en Europe que JD.com a choisi pour installer sa présence et sa marque : pour quelles raisons ?
F.C. : Il y a un romantisme et une tradition à la française qui séduisent les Chinois, notamment les urbains influents, notre cœur de cible. Il y a un vrai intérêt des Chinois pour les marques françaises dans les domaines du vin et des spiritueux, de la mode et de la beauté. Le "made in France" est un label qui, en Chine, a valeur de sésame : cet asset offre un énorme potentiel aux marques françaises. Ces dernières ont eu un taux de croissance en 2017 de 200% sur notre plateforme cross-border.
Nous avons en effet trois plateformes : celle de JD.com, celle dédiée aux produits transfrontaliers (cross-border platform) et enfin la plateforme TopLife lancée en octobre dernier qui vise le marché de la vente internet des produits de marques premium et de luxe.
On ne part pas de rien : des marques comme Alexander McQueen (groupe Kering), ou bien Domaines Barons de Rothschild (Lafite), mais aussi des distributeurs comme Marionnaud et Sephora sont présents sur JD.com. Si le terreau des marques françaises en Chine est déjà bien présent, il reste un potentiel de développement extrêmement fort.
On peut et on a un intérêt stratégique à ouvrir un bureau en France : je rencontre chaque semaine des marques françaises qui ont un potentiel pour le marché chinois mais qui ont des difficultés à l’adresser parce qu’elles ont du mal à trouver les bons lieux ou partenaires pour se déployer en Chine. Outre de renforcer notre visibilité et de faire connaître la plateforme aux marques, on s’est aussi fixé un objectif commercial : on a ainsi récemment signé un accord majeur avec Business France dans lequel nous nous engageons à vendre 2 milliards d’euros de produits français sur nos plateformes d’ici 2019. On n’aurait pas pu nouer un accord de cette importance sans une présence physique.
M.V. : Vous avez créé un programme de formation destiné au managers français : quels sont les codes à intégrer pour réussir à développer sa marque en Chine ?
F.C. : On fait en effet beaucoup de conférences avec Business France sur ces sujets là. Le marché chinois est très différent du nôtre. Avant 1995, le commerce comme la logistique et la consommation étaient historiquement atrophiés en Chine. De fait, le smartphone est arrivé en même temps que la découverte des marques. Aujourd’hui, on vend à 80% sur le tél mobile. L’achat en ligne est complètement désinhibé.
Les consommateurs chinois sont donc hyper digitaux et n’ont pas de réticence sur les données. A partir du moment où cela simplifie leur expérience d’achat, ils se montrent beaucoup plus ouverts aux nouvelles technologies comme la reconnaissance faciale par exemple. Par contre, ils se montrent plus versatiles et moins fidèles aux marques.
Par ailleurs, si la consommation premium et du luxe en particulier est en hyper croissance, c’est aussi un marché hyper compétitif. Les Chinois sont littéralement inondés de propositions de marques qui cherchent à les séduire.
Dans ce contexte, travailler l’histoire et le positionnement de marque est crucial. Clairement, si l’effort transactionnel de référencement sur JD.com est faible, l’effort marketing à fournir est important. De ce point de vue, nous fonctionnons un peu comme une agence marketing et profitons de nos liens étroits avec Tencent pour, par exemple, proposer des programmes de ciblage combinant datas sociales et datas commerciales.
M.V. : Vous qui êtes un ancien de la maison LVMH, quel regard portez-vous sur l’évolution du marché du luxe. Historiquement frileuses par peur de perdre le contrôle de leur image et leur distinction, les marques de luxe ont-elles totalement franchi le pas du ecommerce ?
F.C. : La Chine est un moteur de croissance du luxe. Selon le cabinet de conseil Bain & Co, les clients chinois ont représenté 32 % du marché du luxe mondial en 2017, soit autant que les Américains et les Japonais réunis, et le potentiel reste immense. Il s'agit donc d'un marché déterminant et incontournable pour les marques de mode et de luxe.
Face à des pratiques d’achat totalement digitalisées en Chine, les marques n’ont d’autre choix que de miser sur le Net, que ce soit sur les réseaux sociaux et/ou sur les marketplace. Or, si le luxe représente 9% du marché global vendu sur Internet, cela reste faible par rapport à de nombreuses autres catégories de produits.
Dans ce contexte, l’accélération de la mise sur le marché des produits est un vrai défi posé aux marques dans lequel nous pouvons les accompagner. C’est ce que nous avons par exemple fait pour Tag Heuer au salon de l’horlogerie de Bâle. Au moment de l’annonce de la nouvelle montre amplifié par un live-tweet de 200 000 personnes, la nouvelle montre de Tag Heuer était disponible sur le site de JD.com selon le principe du "See Now, Buy Now".
Après, je pense aussi que le luxe doit trouver son équilibre pour ne pas céder trop à l’accélération. Je porte notamment un regard critique sur les KOL : une égérie n’est pas là pour incarner l’identité d’une marque dans son intégralité mais pour l’amplifier, lui donner un visage humain, mais la marque doit pré-exister.
Ce qui est important pour l’environnement de distribution, c’est qu’il soit dédié au luxe et c’est ce que nous avons construit avec la plateforme Toplife. On n’est pas dans un supermarché du luxe mais davantage dans une espèce d’avenue Montaigne avec un univers qui assure à la marque le contrôle de l’expérience, de la découverte des produits jusqu’à l’achat. L’interface, la navigation, bref le merchandising digital, visent à créer une expérience en ligne qui reflète l’expérience que l’on peut retrouver en magasin.
M.V. : Des rumeurs courent sur le fait que JD.com ouvrirait bientôt une plateforme ecommerce en France : vous confirmez ?
F.C. : Ce n’est pas notre premier enjeu. Notre priorité est d’avoir une meilleure connaissance par les acteurs européens des points forts notre plateforme car nous sommes un acteur mondial de l’internet. Le second enjeu est de ramener beaucoup de marques françaises pour les clients chinois. Mais effectivement, à moyen terme, le projet est de venir distribuer des produits en Europe : c’est actuellement à l’état de projet et de réflexion.
M.V. : Serez-vous présent à VivaTechnology dont les portes d’ouvrent demain ?
F.C. : Richard Liu, le fondateur de JD.com, a été invité par le groupe LVMH, Bernard Arnault et Ian Roger, patron du digital du groupe LVMH, à faire partie du jury pour les « Innovations Awards ». Cette initiative montre bien la rencontre et le lien de plus en plus étroit entre le luxe français et la plateforme digitale.
Par ailleurs, je présenterai JD.com sur le stand de Business France ce vendredi 25 mai à 11h (Booth - D38) sur le thème suivant : "How to use leading e-commerce platform JD.com to export in #China". N’hésitez pas à nous suivre sur le fil twitter de JD (@JD_Corporate) et le mien (@Florent_Courau).