J-P Desbiolles, IBM Watson France : 'Je n'ai jamais vu un sujet aussi transverse que l'IA : tous les secteurs y passeront'
Quelle est votre vision stratégique de l’’intelligence artificielle (IA) en général et de Watson en particulier ?
L’IA n’est pas un sujet nouveau, puisqu’il est apparu dans les années 50. Puis il y a eu ce qu’on appelle "l’hiver de l’IA" jusqu’aux années 90 où les recherches ont repris, en particulier sur les réseaux de neurones. Chez IBM, nous préférons parler d’intelligence augmentée, soit des systèmes cognitifs rassemblés sous le nom de Watson, qui est une marque et le nom de notre fondateur, Thomas J Watson.
Nous assistons à la quatrième révolution industrielle, un terme choisi par le Forum de Davos en 2016, qui est la résultante d’une combinaison de technologies dont l’IA est un vecteur important mais pas le seul phénomène à l’œuvre. L’IA, c’est d’abord la fin du code. Nous passons d’un monde de programmation à un monde d’apprentissage. Dans le premier, le business exprime ses besoins auprès du département IT (information technology ou technologies de l’information), qui essaie de comprendre la demande, réalise un programme censé la satisfaire. Ce programme est rodé, développé et mis en production. Dans ce monde d'apprentissage vers lequel nous allons, les valeurs importantes sont celles du savoir, du savoir-faire et du savoir-être : le savoir, représente la connaissance. Le savoir-faire, c'est l’expertise et le savoir-être, ce sont les émotions et les soft skills (compétences non techniques) de l’individu.
Quelle est la différence entre IA et système cognitif ?
Les systèmes cognitifs apprennent via les interactions qu’ils ont avec des hommes et des femmes dans un métier donné. Il existe une véritable logique d’apprentissage et d’éducation de ces systèmes cognitifs. Ceux-ci possèdent trois caractéristiques : ils interagissent avec un utilisateur en langage naturel et comprennent ses intentions ; ils sont capables de trouver une réponse et sont en mesure de fournir les évidences qui sous-tendent cette réponse. En France, on reproche à ces systèmes d’être une Black Box (boîte noire) car on ne comprend pas les choix de l’IA pour arriver à une réponse. Or, un système comme Watson délivre des réponses avec une traçabilité quasi totale. Paradoxalement, ce genre de système cognitif est donc beaucoup moins une boîte noire que l’être humain lui-même.
La troisième caractéristique du système cognitif, c’est sa capacité d'apprentissage permanent. En fait, quand on parle d’IA, c’est très réducteur. IBM parle de système cognitif car il imite les capacités de l’humain. L'homme possède cinq sens et le système cognitif a six domaines d’investigation : le langage, la voix, la vue, l’empathie, la gestion du savoir et le raisonnement. Derrière chacun de ces éléments, il existe des services cognitifs Watson en mode API (plateforme de programmation informatique). Exemple : Watson Assistant pour le langage, Watson Visual Recognition (reconnaissance visuelle) pour la vue, etc.
Quels sont les secteurs où l’usage de l’IA est le plus avancé ?
Le premier domaine sur lequel nous travaillons, c’est l’expérience client. Le deuxième sujet est le conseil ou advisory et le troisième est le risque et la conformité. En matière d’expérience client, j’ai longtemps travaillé dans le CRM (gestion de la relation client) et nous sommes arrivés au bout des possibilités des outils tels que les sites web, les applis mobiles, etc. Cela a changé. Nous sommes à l’aube d’une nouvelle ère de l’expérience client, et d'une transformation d'UX/UI (user experience/user interface) qui vise à créer une approche nouvelle pour interagir avec l’être humain. D’abord avec les interfaces en langage naturel. Puis, nous allons développer une hyper-personnalisation de l’expérience client grâce à la capacité d’apprentissage du système cognitif.
Deuxième sujet : le conseil. Nos clients veulent être capables d’extraire de la valeur ajoutée des données non structurées. Pour l’instant, nous n’exploitons que 20 % des data. Les dark data, ces données potentiellement utiles mais non exploitées par les organisations, ce sont les brochures, les contrats, les rapports d’analyse, les images, etc. que nous ne savons pas utiliser. Avec un système cognitif, nous pouvons extraire une information pertinente de ces données non structurées et les combiner avec les data structurées. Je peux enfin expliquer à mon client pourquoi faire A c’est mieux que de faire B, grâce à l’evidence based system (système fondé sur les évidences).
Le troisième domaine, c’est le compare and comply (comparer et se conformer) : comme je sais ingérer des milliers de textes réglementaires, je peux comparer une activité à une réglementation de manière automatisée.
Je n'ai jamais vu un sujet aussi transverse que l’IA : tous les secteurs y passeront ! Nous sommes face à quelque chose qui va créer et détruire des emplois mais qui va surtout transformer l’emploi et c’est pourquoi nous devons nous y préparer.
Comment intégrer ces systèmes cognitifs au sein de l’open innovation et de l’écosystème des start-ups ?
Notre monde est extrêmement ouvert, tous les acteurs y jouent un rôle. Deux personnes dans un garage peuvent créer quelque chose d’extraordinaire. Les start-up, les chercheurs et les grands groupes comme nous innovent constamment sur ce sujet. Le deuxième point fondamental, c’est l’industrialisation (scalability), ce qui sous-entend une logique de taille. Nos grands clients attendent une disruption sur un sujet donné mais aussi une industrialisation de ces innovations, donc vous devez détenir une plateforme industrielle.
Côté start-up, nous avons organisé le IBM Watson AI X-Prize (voir interview d’Amir Banefatemi) sur le sujet du AI for good. Les projets de ces start-ups doivent être à base d’intelligence artificielle et destinés à améliorer le monde dans des domaines aussi variés que l’éducation, l'environnement, la santé, etc. Nous avons accueilli récemment chez IBM France plus de 20 start-up. L’IA est un écosystème large : individus, chercheurs, start-up, fintech et grands groupes comme le nôtre. Mais quelle que soit la taille de la société qui met au point une IA, elle doit respecter des valeurs éthiques comme le retour d’expérience et la transparence, comme nous le faisons au sein du "Partenariat sur l’IA au bénéfice des personnes et de la société" où se retrouvent des entreprises comme IBM, mais aussi Facebook, Google, Microsoft, Amazon et Apple.