Les 10 enjeux de la transition énergétique
L’épuisement progressif des ressources et l’impact environnemental de notre modèle énergétique encore largement dépendant de l’extraction des combustibles fossiles questionnent sur la pérennité d’un tel modèle. Pour sortir de l’impasse d'un système socio-technique fondé sur l’utilisation des énergies fossiles, les acteurs publics et privés doivent engager une réflexion profonde pour co-construire un modèle énergétique durable. Pour réussir le passage à un système énergétique basé sur les énergies renouvelables, il ne s’agit pas seulement de substituer les énergies mais de repenser intégralement la structure organisationnelle et la nature de nos activités productives.
1. Production & Transformation
On ne peut décemment pas parler d’énergie sans évoquer sa production. En France la production d’énergie primaire est surtout nucléaire, celle-ci représente 77% de la production énergétique du territoire. Les énergies renouvelables représentent quant à elles 22% de l’énergie primaire produite, moins de 1% de l’énergie primaire produite est de type fossile. En effet, la France importe la grande majorité du gaz, pétrole et charbon qu’elle consomme. De plus, sur le total de l’énergie primaire française seul 68% finit par être consommée. Les 32% restants correspondent aux pertes et aux processus de transformation de cette énergie afin de la rendre consommable.
Pour l’électricité, en France 67,1 % de l'électricité produite vient du nucléaire et 24,1 % d’énergie renouvelable (chiffre de 2020 source : CRE). La loi de transition énergétique pour la croissance verte prévoit de réduire la proportion d’électricité produite par le nucléaire à 50% d’ici à 2025. Pour atteindre cet objectif il va falloir augmenter la capacité de production des énergies renouvelables déjà bien implantées sur le territoire et investir plus dans les énergies renouvelables en développement, notamment les énergies marines renouvelables (énergie hydrolienne, houlomotrice, marémotrice, etc…).
2. Conditionnement & Stockage
L'accélération du développement des énergies renouvelables pose un nouveau défi aux experts de l’énergie, celui du stockage et du conditionnement de l’énergie électrique produite. En effet, contrairement aux énergies fossiles et à l'exception des barrages hydroélectriques, les énergies renouvelables ne peuvent pas être maîtrisées, leur capacité de production n'étant pas constante. D’où le besoin de pouvoir stocker les surplus de production afin de les réutiliser aux meilleurs moments. Des solutions sont en développement actuellement pour répondre à ces problématiques, notamment la technologie du "Power to Gas" qui permet de stocker la surproduction d’énergies renouvelables en générant de l’hydrogène par électrolyse. Cette technologie a beaucoup de potentiel, surtout quand on sait qu’un plan à 7,2 Mds d’euros a été annoncé par le gouvernement dans l’optique de développer la filière française de l’hydrogène décarboné.
C'est un énorme coup d'accélérateur, avec un objectif simple, construire une filière française de l'hydrogène décarboné, de portée internationale, avec à la clé, 6 millions de tonnes d'émissions de CO2 économisées en 2030
Barbara Pompili, Ministre de la Transition écologique
3. Transport & Distribution
Pour arriver jusqu’aux consommateurs, l'énergie sous toutes ses formes a besoin d’être acheminée depuis sa zone de production. Plusieurs méthodes de transport et de distribution existent. En fonction du type d’énergie, celle-ci peut être transportée par ligne haute tension, camion citerne, pipeline etc… L'émergence de nouvelles énergies et le déploiement de nouveaux modes de transports modifieront la manière dont l’énergie sera distribuée. Par exemple, les voitures électriques augmenteront considérablement la demande en électricité sur le réseau, elles pourront également jouer le rôle d’alimentation de secours si le réseau électrique le nécessite grâce au déploiement de smartgrids. En ce qui concerne l’hydrogène liquide, des solutions de transport maritime sont actuellement en développement, et permettront sa commercialisation à plus grande échelle.
4. Consommation & Performance
La finalité de la production et du transport de toute forme d’énergie est sa consommation. Or selon la consommation et le type d’énergie utilisée, les émissions de gaz à effet de serre varient fortement, c’est pourquoi il est important de réfléchir à une consommation intelligente dans une optique de sobriété énergétique. Il est en effet impératif pour nous de changer nos habitudes de consommation, et de se tourner collectivement vers un mode de vie plus économe en énergie tout en continuant d’améliorer les technologies existantes pour améliorer la performance énergétique de nos systèmes.
5. Récupération & Circularité
Dans le mix énergétique d’un modèle durable, les énergies de récupération constituent des énergies complémentaires aux énergies renouvelables. Comme leur nom l’indique, il s‘agit de récupérer de l'énergie qui, à défaut, serait perdue. La chaleur dégagée par la combustion des déchets, par les data center ou encore issue de différents processus industriels comme la métallurgie peut être récupérée grâce à des échangeurs thermiques puis utilisée pour chauffer des bâtiments à proximité. On peut également la convertir en électricité sans rejet supplémentaire de CO2. Les énergies de récupération permettent de limiter au maximum les déperditions d'énergie et favorisent le développement de territoires intelligents et vertueux.
Prenons l’exemple d’une usine de valorisation énergétique des ordures ménagères, on peut utiliser la chaleur dégagée par la combustion des déchets non-recyclables. Selon l’Ademe “le gisement national de chaleur fatale industrielle s’élève à 109,5 YWh, soit 36% de la consommation de combustibles dans l’industrie”. Le potentiel des énergies de récupération dans l’industrie est énorme : l’accompagnement des acteurs industriels dans leurs efforts de réduction de consommation énergétique est essentiel pour un secteur qui représente plus de 20% des émissions globales.
6. Financement & Compétitivité
Après une mise à l’arrêt sans précédent du pays en raison des confinements successifs, le Gouvernement a présenté il y a maintenant 7 mois un plan de relance économique exceptionnel de 100 Md d’euros, dont 30 Md d'euros seront entièrement consacrés à la transition écologique. L’objectif de ce plan de relance est simple : faire de l’écologie le principal levier de la reprise et de la transformation de notre économie.
Si on ne peut plus douter de la nécessité d’une transition énergétique à toutes les échelles, la question de son financement demeure entière. Les investissements pour convertir l’ensemble du modèle énergétique sont immenses, que ce soit par la redéfinition des activités ou simplement en termes d'infrastructures énergétiques. Le plan de relance du gouvernement lancé suite à la crise sanitaire accorde une place très importante à la transition énergétique avec plus de 7 Md pour la seule filière hydrogène, mais ces investissements sont-ils suffisants ? Selon l’I4CE il faudrait 45 à 70 Md d’investissements supplémentaires pour assurer le succès de la transition énergétique à l’horizon 2030. Politiques, investisseurs publics et privés, tous les efforts doivent converger pour favoriser une transformation à long terme du modèle énergétique existant.
7. R&D, Innovation Numérique & Technique
Le succès de la transition énergétique est soumis à l’arrivée à maturité d’un ensemble de solutions techniques et technologiques. La bascule vers un nouveau modèle énergétique sera permise par des innovations à toutes les étapes de la chaîne de valeur de l’énergie. L’optimisation de la gestion des données énergétiques est par exemple un des enjeux clés pour accélérer la transition énergétique. La donnée-énergie, déjà essentielle pour identifier les leviers d’optimisation de production d’énergies renouvelables, peut également servir à sécuriser les contrats d’achats et gérer l’équilibre entre production et consommation énergétique. Les centrales de production d'énergie éolienne et solaire émettent une immense quantité de données électriques (intensités, tensions, fréquences etc.), mécaniques (températures, vibrations etc.) ou encore météorologiques (vent, pression atmosphériques, irradiations, etc.). L’intégration de l'intelligence artificielle, des technologies blockchain dans les processus d’analyse et d’exploitation de ces data permettront d'accélérer le développement de ces filières.
8. Métiers de la filière énergie
La transition énergétique est d’autant plus intéressante pour son potentiel de création d’emplois. En France, les études des scénarios de transition énergétique estiment entre 280 000 et 400 000 nouveaux emplois en 2030. Mais ce ne sont pas que les emplois de demain, en France 3,8 millions de personnes travaillent d’ores et déjà dans des métiers liés à l’économie verte. Le potentiel créatif des énergies renouvelables est bien supérieur à celui des énergies fossiles : pour un investissement d’1 million d'euros, 14 emplois sont créés dans les énergies renouvelables contre seulement 6 dans le charbon.
Si le système de production et de consommation d’énergie se transforme, c’est aussi le cas des métiers qui y sont associés. Les futurs employés de la filière doivent être formés à de nouvelles compétences techniques pour répondre aux mutations technologiques. Les 4 étapes clés pour résoudre cet enjeu de l’emploi :
- Diagnostic : pour anticiper l’évolution des emplois et des compétences associées. Une analyse de l’impact sur les métiers à l’échelle des territoires paraît indispensable.
- Anticiper : dans le cadre des changements structurels à venir, une anticipation précise des répercussions sur l’emploi doit être menée. Une véritable GPTEC - Gestion Prévisionnelle Territoriale des Emplois et Compétences incluant l’ensemble des parties prenantes doit être menée par les collectivités territoriales.
- Former : adapter l’offre de formation en fonction des évolutions identifiées lors de la phase d’analyse et accompagner les salariés dans leur conversion.
- Dynamiser : renforcer les relations entre les acteurs de la formation, de l’emploi et de la transition énergétique à l’échelle territoriale pour les adapter en cohérence avec les spécificités des situations locales.
9. Mesures, Normes & Fiscalité
Le cadre juridico-légal doit en effet accompagner la transition énergétique et peut même représenter un levier important pour son accélération et sa généralisation à grande échelle. Au niveau européen, le Cadre pour le climat et l’énergie et la Feuille de route “bas carbone" à l’horizon 2050 fixent les grands objectifs à atteindre, en termes de réduction globale des émissions ou d’intégration des énergies renouvelables dans le mix énergétique. À l’échelle nationale, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte constitue le principal socle juridique de transition énergétique en France, plusieurs instances ont été créées pour appliquer les mesures envisagées et suivre leur évolution. Si elle a permis de donner une direction commune, la transition énergétique se joue en réalité au niveau des territoires. Les infrastructures nécessaires au déploiement des énergies renouvelables est aussi un enjeu d’aménagement du territoire.
Un énorme travail normatif est encore à fournir pour donner une direction de transition énergétique commune aux différents acteurs. La définition de normes précises et le développement des outils de mesures permettront d'identifier les champs d'action clés et de comparer la pertinence des mesures engagées par les différents acteurs.
10. Gouvernance & Parties prenantes
Qu’il s’agisse du contrôle des gisements, des réseaux de distribution ou du marché, l’énergie est sans conteste un objet central des rivalités internationales et des rapports de pouvoir sur les territoires. Dans le cadre de la transition énergétique, il est notamment question de l’accès aux métaux rares nécessaires à la production des infrastructures des énergies renouvelables. ONG, citoyens, investisseurs, entreprises, gouvernements... C’est l’implication de toutes les parties prenantes, publiques et privées, et l’étroite collaboration de tous les acteurs qui permettra de co-construire un modèle énergétique durable.
Parler de gouvernance de l’énergie c’est aussi s'interroger sur la nature de notre réseau énergétique, aujourd’hui largement centralisé. Le réseau énergétique actuel s’est développé avec des infrastructures massives gérées par des acteurs uniques (publics le plus souvent) mais avec le désengagement progressif de l'État et l’apparition des nouvelles énergies renouvelables, l’efficacité d’un tel système est remise en cause. Un nouveau paradigme énergétique basé sur des énergies écologiques, avec des infrastructures plus locales et décentralisées est-il la solution ?
Conclusion
L’énergie n’est pas seulement une “variable” qui alimente un système technique, elle engage l’ensemble des acteurs politiques et socio-économiques. La transition durable de notre modèle énergétique ne réside pas seulement dans la substitution des énergies fossiles par les énergies renouvelables mais implique un changement structurel global. D’autant plus que la puissance qu’offrent les combustibles fossiles ne pourra jamais être égalée par les seules énergies renouvelables, aussi bien pour des raisons d’espaces nécessaires que d’extraction des métaux rares. Redéfinition de nos modèles productifs, des usages de consommation énergétique ou encore décentralisation des infrastructures, de nombreuses transformations sont encore à définir pour garantir une transition énergétique holistique. Alors, comment construire le modèle énergétique de la transition ?
Rendez vous au Sustainable Energies Forum pour intégrer les clés de compréhension nécessaires au changement de paradigme énergétique !