Secteur public : comment automatiser les processus mais pas leurs complexités ?
HUB Institute : Comment évaluez-vous la maturité du secteur public en matière d’automatisation des processus, comparé au secteur privé ?
Dorothée Belle, Directrice Associée - Transformation du secteur Public, chez EY Consulting : Il est certain que le secteur privé a un coup d’avance sur l’utilisation de ces innovations par rapport au secteur public. Les secteurs bancaires ou du retail notamment s’interrogent sur le potentiel de l’automatisation depuis des années et ont déjà dépassé le stade de l’expérimentation pour industrialiser.
Toutefois, les choses sont en train de changer à grande vitesse dans le secteur public. De nombreuses organisations (administrations centrales, collectivités locales, organismes de protection sociale...) passent aujourd’hui en revue leurs processus à l’aune de ces nouvelles technologies, pour exploiter les leviers digitaux et transformer la manière de délivrer leurs services aux usagers.
HUB Institute : Peut-on en déduire qu’on est encore loin de parler d’intelligence artificielle au sein des services publics ?
DB : Pour le moment, lorsque l’on parle d’automatisation des processus, on parle surtout de robotisation (RPA). Ce sont deux choses très différentes. Le robot fait exactement ce qu’on lui dit de faire là où l’intelligence artificielle promet un algorithme permettant d’apprendre et in fine prendre des décisions.
Le RPA s’inscrit comme le premier levier d’une transformation data-driven des processus de décision de toute organisation, y compris publiques. Il permet de considérablement réduire le temps que passent les forces vives aux tâches manuelles ou répétitives afin de les consacrer davantage aux tâches à forte valeur ajoutée.
HUB Institute : Pourriez-vous nous citer deux cas d’usage concrets qui seraient considérablement optimisés par l’usage du RPA ?
DB : Si je prends comme exemple les collectivités locales et les départements, je pense immédiatement à tout ce qui concerne les métiers du social.
Ces derniers sont aujourd'hui confrontés à un paradoxe difficile à accepter pour les agents : alors même que leur cœur de métier doit être tourné vers la proximité et la relation à l’usager, le temps consacré à la saisie et à la vérification dans les outils informatiques devient de plus en plus important. La faute à des volumes de données qui sont souvent extrêmement élevés.
Le développement des assistants digitaux apporte aujourd'hui une réponse innovante, souple et peu onéreuse pour réaliser de nombreux processus :
- Saisie des informations reçues depuis un formulaire en ligne dans un logiciel ;
- Envoi de notifications automatiques en masse ;
- Contrôle automatique d’information entre plusieurs outils, bases de données ;
- Réalisation de calculs dans un fichier Excel pour alimenter un système ;
- Enregistrement de documents dans une gestion électronique documentaire…
On peut aussi évoquer tout ce qui concerne les métiers de la finance et de la comptabilité, avec des exigences toujours plus pressantes de payer vite et bien les factures reçues, tout en réduisant les risques d’erreur. L’automatisation est dans ce cas une réponse évidente pour gagner en performance opérationnelle.
HUB Institute : L’un des services publics les plus en difficulté reste l’hôpital. Comment le RPA pourrait l’aider ?
DB : Les hôpitaux sont effectivement parmi les organismes publics qui ont le plus à gagner en automatisant leurs processus. Vous avez aujourd’hui un grand nombre de tâches administratives traitées par du personnel soignant. En déléguant cette charge administrative, les hôpitaux peuvent redéployer ce temps gagné pour améliorer la prise en charge des patients.
Encore une fois, l’objectif final est de gagner en temps et en marge de manœuvres. Un enjeu crucial pour un service public souvent confronté au déficit de moyens humains et financiers.
HUB Institute : Automatiser des processus, n’est-ce pas risquer d’automatiser les problèmes ?
DB : Je suis bien d’accord. Comme nous l’évoquions précédemment, le robot se contente de dérouler un processus normé et répondant à des règles de gestion précise. Il ne faut donc pas automatiser la complexité !
Chez EY, nous avons la conviction que quel que soit le projet d’automatisation, l’application d’une nouvelle solution doit être précédée d’une phase d’analyse critique, voire d’optimisation des processus. Il faut toutefois noter que nombre de ces complexités sont dues au facteur humain, et plus précisément au fait que l’on affecte des ressources humaines à des tâches peu stimulantes.
On souligne ici une autre valeur du RPA qui permet de revaloriser des fonctions au sein des organisations.
HUB Institute : Et qu’en est-il de la relation humaine ? Intégrer robots et algorithmes, n’est-ce pas un pas vers la déshumanisation des relations entre l’administration et le citoyen ?
DB : Je ne le vois pas comme cela. Les fonctions que l’on attribue aux automates ne sont pas relationnelles. On tâche justement de réduire le temps dépensé par des ressources humaines à certaines tâches redondantes pour qu’elles puissent se concentrer sur l’amélioration du rapport humain et des prises de décision.
Reste toutefois à apprendre aux agents à travailler aux côtés de ces nouvelles technologies. Cette relation homme/machine doit être pensée au préalable pour tout projet et l’on ne décorrèle jamais la mise en place de ces innovations et l’accompagnement des équipes. Les aspects RH et l’accompagnement au changement sont naturellement fondamentaux dans ces projets.
HUB Institute : Quelles sont les étapes capitales du déploiement d’une solution d’automatisation selon EY ?
DB : Les principales étapes pour déployer une solution de RPA sont les suivantes :
1 - Cadrage stratégique
C’est pendant cette phase que sont définis les objectifs à atteindre et les cas d’usage qui feront l’objet d’un développement prioritaire. L’objectif n’est pas tant de s’attaquer à toutes les complexités du processus, mais plutôt d’identifier les plus lourdes. C’est en réduisant ces dernières que les bénéfices seront les plus importants à court terme. De là il sera plus aisé d’étendre le projet à de nouveaux cas d’usages moins prioritaires.
En matière d’automatisation, EY a notamment l’habitude de mettre en place des Botathon. Ils prennent la forme de guichets nous permettant d’échanger avec l’ensemble des services et des acteurs de la chaine de valeur en transformation.
L’enjeu est ainsi d’identifier le maximum de cas d’usages potentiels et d’aider nos partenaires à les prioriser. Bien sûr, ces informations viennent s’ajouter à notre expérience métier déjà très importante. Nous disposons d’une bibliothèque de connaissance déjà prête pour optimiser les processus des organisations publiques.
2 - Conception et développement
On entre ensuite dans la phase de conception du projet, et de conception du robot selon le cas d’usage pour lequel il sera déployé. Nous rédigeons concrètement ce que l’on appelle des "user stories" décrivant, de manière très fonctionnelle et au clic près, tout le processus que devra réaliser le robot à la place de l’humain. C’est sur la base de ce document validé que nous réalisons le développement des automates.
3 - Passage à l’échelle
Une fois que nous avons conçu la solution et l’avons testé en environnement contrôlé, nous collectons les premiers retours d’expérience. L’objet est de modifier la solution si besoin est, ou, si tout est fonctionnel, de passer au déploiement. Nous accompagnons ici nos partenaires dans la pose des robots (à la fois matériels et logiciels) dans leur écosystème, mais aussi dans le transfert des compétences qui permettront à ses équipes d’opérer la solution en totale autonomie.
HUB Institute : Quel est votre modèle économique, et à combien chiffrez-vous aujourd’hui les solutions de RPA ?
DB : La force d’EY c’est d’intégrer à la fois les compétences de conseil en automatisation et de déploiement à grande échelle de cette technologie. Nous accompagnons nos clients de A à Z, y compris sur le paramétrage, l’intégration et la maintenance des robots que nous déployons.
Il ne faut pas nécessairement un gros budget pour démarrer son projet, et une première vague complète peut être déployer en quelques mois dans une enveloppe ne dépassant pas les 100 000 euros.
Au-delà de la mise en place des automates, nous accompagnons nos clients publics sur l’ensemble de la proposition de valeur qui accompagne le projet : formation des acteurs et transfert de compétences, mise en place des centres d’excellence RPA chez nos clients, mise en place des outils et méthodes pour pérenniser et inscrire dans la durée cette nouvelle technologie dans l’architecture SI.
L'expertise digitale d'EY en quelques mots
EY a ouvert en 2016 le LAB EY Wavespace, dédié aux analytics, la cybersécurité et le digital. Le site doit doubler de taille l’année prochaine.
EY compte aujourd’hui plus de 100 consultants experts dans les domaines de la robotisation et de l’IA. Avec plus d’une centaine de projets d’automatisation réalisés auprès de clients issus de tous secteurs d’activité.