Smart Reboot #3 : Les 5 leçons derrière la transformation de La Redoute | HUB Institute - Digital Think Tank
Octobre 2013, La Redoute, cette référence de la Vente Par Correspondance dont chaque foyer français ou presque reçoit le célèbre catalogue est au bord de la faillite. Cette ancienne filature de laine fondée en 1837 n’est plus que l’ombre d’elle-même. Depuis 2010 son chiffre d’affaire baisse de 10% par an et l’entreprise perd plusieurs dizaines de millions d’euros par an !
François Pinault et son groupe Kering souhaite plus que jamais se désengager de ce business structurellement déficitaire. La restructuration, voir le dépôt de bilan semble inévitable, ce qui signifie la mise en péril de pas moins de 3300 emplois dont 2400 en France.
Pourtant contre toute attente, La Redoute va trouver une voie de sortie. Nathalie Balla, sa PDG depuis 2009, et Éric Courteille, secrétaire général de Redcats (pôle vente à distance de Kering) rachètent l’entreprise pour un euro symbolique le 4 décembre 2013. Un accord arraché au forceps après un blocage jusqu’à la dernière minute par la CFDT après un speech mémorable d’Eric.
Ces repreneurs, qui possèdent 55% du capital, bien connus des équipes ont su convaincre tout en associant au capital l’équipe dirigeante et les salariés (16%). L’offre a été sursouscrite cinq fois et 1 600 salariés sur 2 000 sont désormais actionnaires. Mais la bataille n’est pas gagnée pour autant. Remettre La Redoute sur pied va se révéler être un vrai parcours du combattant pour le duo.
1. Alléger tout en investissant pour une logistique et une distribution performante
La transition ne se fait pas sans casse. L’entreprise se sépare de 1220 emplois sur 3400 avec un plan social. Elle en employait 6.300 avant 2000. En contrepartie le groupe Kering a investi 315 millions d'euros pour la transformation et 180 pour le volet social. Le groupe de Roubaix se dote même d’un nouvel entrepôt hyper moderne de 42.000 m2 pour 50 millions d’euros à Wattrelos. Contre toute attente celui-ci fonctionne très mal à ses débuts.
Pas évident de gérer 400.000 références de manière informatisée. Les deux repreneurs devront passer des semaines sur place pour régler la situation. Finalement l’investissement paie : on passe de 14 à 4 étapes pour faire un colis et de 2 jours à 2 heures de préparation! Ce sont désormais 3500 commandes à l’heure qui peuvent partir.
Les commandes passées jusqu’à 20 heures sont livrées le lendemain. Les journées des salariés ont gagné en amplitude horaire et peuvent s’étaler entre 5h du matin et 21h20. En parallèle La Redoute sécurise sa distribution en rachetant Relais Colis et ses 4 700 points relais en France.
2. Repenser l’offre quitte à tuer les vaches sacrées comme le catalogue
Malgré la notoriété historique du catalogue VPC de 1300 pages, celui-ci est abandonné en 2015 après une enquête auprès des clients. La marque n’a pas su voir venir les disruptions du fast retailing et de l’importance du e-commerce. Un choix qui fait sens en termes de coût quand on opère dans plus de 10 pays.
L’entreprise décide ainsi d’abord de repositionner l’offre produit. La société travaille à reconstruire des marges plus élevées en cherchant à concevoir et à réaliser des produits en propre autour du “style à la Française” tout en gardant des prix accessibles. Elle se recentre sur la maison (AMPM) et l’habillement (des collections re-positionnées pour être plus désirables et renouvelées mensuellement et plus 2 fois par an) ainsi que les meubles avec l’ouverture points de vente destinés à des derniers.
Le but étant de cultiver sa différence et d’apporter une solution à un problème avec une identité et une proposition de valeur claire. En parallèle, la société qui avait pourtant testé le e-commerce dès 1996 se recentre et accélère sur Internet. Elle rentre même dans le top 10 des sites e-commerce dès 2015.
3. Retravailler la communication et le service client
L’entreprise est passée d’un marketing push avec le catalogue à une vraie une relation omnicanale et interactive avec les clients. Le papier n’a pas été complètement abandonné avec quelques mini catalogues qui ne représentent plus que 25% de l’investissement publicitaire contre 75% auparavant! La différence a été entièrement réinvestit sur les media digitaux sur du recrutement.
L’enjeu majeur étant de reconquérir les clients perdus ou les plus jeunes publics qui n’étaient pas clients. Les commandes sont livrées désormais en 24 heures. En parallèle l’entreprise s’est dotée d’une équipe data de plus de 20 personnes pour améliorer la connaissance clients anticiper les nouveaux usages comme les enceintes vocales ou l’IA. Le but : simplifier, personnalisée, et faire gagner du temps au client.
Une relation client qu’il était vital de moderniser face à Amazon, Zalando ou Asos. Enfin La redoute a lancé des mini boutiques, véritables show rooms connectés de 300m2 pour exposer une partie de la collection tout en apportant conseil aux clients. Les vendeurs étant équipé de tablettes. 90% du chiffre d’affaire de ces boutiques étant réalisé sur le web avec l’aide des vendeurs.
4. Un pilotage modernisé de la performance
Avec le passage au e-commerce, l’entreprise surveille désormais son trafic, son taux de conversion, son chiffre d’affaire comme le lait sur le feu. Là ou le catalogue papier créait une grande inertie et un manque de lisibilité avec des collections conçues longtemps en avance, l’entreprise est désormais très agile et peut facilement réagir en fonction des ventes. L’entreprise suit aussi de prêt la satisfaction client et la qualité de service grâce à la mise en place du Net Promoter Score.
5. Une transformation humaine et capitalistique
Avec les nombreux départs les deux repreneurs ont dû mouiller la chemise au contact des salariés pour recréer la confiance et redonner une vraie motivation à ces derniers. Derrière une vision claire “rendre accessible le style à la Française en mode et en décoration à chaque femmes”, Nathalie Balla et Éric Courteille ont dû mettre l’entreprise en mouvement en travaillant sur la culture d’entreprise et sur son ADN : tisseur de liens, créateur de tendances (80% du CA avec des collections conçues propres), porteur d’influence (apprendre à se réinventer constamment au service de la société).
Passer des métiers de la VPC au E-commerce a nécessité pas mal d’adaptations, de formations et aussi de recrutements de certaines expertises spécifiques. “La plus grande administration du Nord” a dû faire sa révolution en terme de culture, d'organisation et de management.
La Transformation Digitale est aussi et surtout une transformation humaine et culturelle. Le siège a déménagé (en traversant la rue) pour passer à des open space même pour les repreneurs. Un vrai travail a été fait pour favoriser l’ouverture (avec un réseau externe de startups), la rapidité et l’agilité.
Une des mesures symboliques a aussi été d’associer les collaborateurs au capital grâce à un fond commun de placement en entreprise ou FCPE "de reprise". Au final les 50 top managers se partagent 33% du capital, les salariés 16% et les 2 repreneurs 55%. L’opération accorde même un droit de vote direct aux salariés actionnaires lors des assemblés générales. Un bon moyen d’aligner les intérêts et de garantir l’engagement de tous.
Une transformation ambitieuse qui a payé
En 2015, la perte est encore de 40 millions d'euros pour un chiffre d'affaires de 750 millions. Mais en quelques années le Chiffre d’Affaire E-commerce passe de 4% à 85%. En 2016, l’entreprise retrouve enfin la croissance et dès 2017 la rentabilité avec un chiffre d’affaire de 1 milliard d’Euros planifié pour 2021.
Finalement le 31 août 2017, le groupe Galeries Lafayette rachète La Redoute, un belle récompense après 3 années de transformation business au pas de charge. L’offre des deux retailers est très complémentaire pour aller de l’entrée de gamme au haut de gamme et pour atteindre une masse critique face aux géants du commerce comme Amazon ou Alibaba.
Retrouvez ci-dessous l’intervention de Nathalie Balla au HUBFORUM 2017.