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La mobilité dans une 'ville du quart d’heure', ou l’image de l’eau qui coule du robinet

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À mesure que les sujets autour de la mobilité gagnent en importance, les villes cherchent à repenser l'urbanisme. Le but : adapter le territoire aux nouveaux comportements des citoyens, et voir émerger des "Villes du quart d'heure". Dans cette tribune, publié pour la première fois sur Forbes, Jennifer Jacobs Dungs, Thematic Field Leader Energy for Transport & Mobility (EIT InnoEnergy), revient sur ce nouveau concept de ville et évoque certains exemple de municipalité ayant adopté ce principe.
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Je le reconnais, je rêve sans doute un peu. La vie dans une ville sans longs trajets quotidiens, souvent entrecoupés de pauses pour récupérer les courses, passer par le pressing, aller chercher les enfants, etc. Et où chaque halte est synonyme de temps perdu, dans les bouchons ou pour trouver une place. Sans oublier l’exposition à la pollution et au bruit incessant. L’idée est celle d’une ville composée de quartiers où l’ensemble des lieux et équipements nécessaires aux besoins essentiels des habitants se trouvent à seulement 15 minutes à pied ou à vélo (lieux de travail, crèches et établissements scolaires, magasins et restaurants, établissements de santé, parcs et institutions culturelles). En outre, les espaces publics sont utilisés pour une multitude de finalités et suffisamment de personnes y vivent pour assurer la diversité des entreprises. Et surtout, le logement et les autres coûts y restent abordables.

Les grands principes de la "Ville du quart d'heure"

Enseignant à l’université de la Sorbonne et inventeur du concept de "ville du quart d’heure", Carlos Moreno propose une incroyable réinvention de nos zones urbaines : des villes où tous les quartiers s’organisent autour des besoins humains de base (vie, travail, courses, soins, apprentissage et loisirs). Le contraste est saisissant avec de nombreuses villes modernes, où les besoins des voitures (à moteur thermique) et de leurs conducteurs sont souvent érigés au rang de priorité. Malheureusement, les zones urbaines actuelles sont en réalité bien loin de la vision de Carlos Moreno.

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En y réfléchissant de manière rationnelle, la quantité du précieux espace urbain allouée aux routes et aux parkings semble bien absurde. "L’Arrogance de l’espace", un terme inventé par Mikael Colville-Andersen, décrit l’extrême centralisation sur les voitures de la planification de nos villes. À Copenhague, l’une des villes les plus avancées au monde en matière de transport durable, plus de 90% des habitants ne se servent pas de leur voiture pour leurs déplacements. À l’inverse, près des deux tiers (62% précisément) enfourchent leur vélo. Pourtant, 64% des espaces de transport de la capitale danoise sont affectés aux voitures et au stationnement, contre respectivement 26% et 7% aux trottoirs et aux vélos.

Dans les métropoles du monde entier, la catégorisation des quartiers a été la norme, à travers la création de zones industrielles, de centres financiers, de quartiers commerçants ou culturels, etc. Ces différentes zones ont été reliées par un réseau sans cesse plus dense de rues et d’autoroutes urbaines à plusieurs voies, voire à plusieurs niveaux, ainsi que de transports en commun.

Cette priorité accordée aux voitures tient du fait que la planification urbaine, et donc celle des infrastructures de transport, a pris pendant des dizaines d’années une direction opposée aux idées de Carlos Moreno et d’autres personnes. Dans les métropoles du monde entier, la catégorisation des quartiers a été la norme, à travers la création de zones industrielles, de centres financiers, de quartiers commerçants ou culturels, etc. Ces différentes zones ont été reliées par un réseau sans cesse plus dense de rues et d’autoroutes urbaines à plusieurs voies, voire à plusieurs niveaux, ainsi que de transports en commun. Le critère pour se rendre d’un point A à un point B en un délai acceptable était essentiellement un élément : la vitesse.

Toutefois, ce système de transport centré sur la voiture a atteint, et peut-être même dépassé ses limites. Prenons l’exemple de Munich, la troisième ville d’Allemagne : selon les projections d’une étude du service urbanisme de la ville réalisée en 2018, les heures de pointe du matin et du soir dans les rues de Munich se transformeront d’ici 2030 en un embouteillage permanent de 6h00 à 21h00. Cela pourrait devenir une réalité si les niveaux d’augmentation de la population munichoise restent inchangés et si aucune évolution radicale n’a lieu en matière de planification des infrastructures de transport. Imaginez… Une circulation en accordéon du matin au soir, chaque jour de la semaine.  

En 2016, PTV Group Traffic a réalisé une simulation visant à montrer combien de temps il fallait à 200 personnes pour franchir la même ligne avec différents moyens de transport. Plus de 4 minutes ont été nécessaires en voiture, ou plutôt à 133 voitures avec en moyenne 1,5 personne par véhicule. Pour effectuer le même trajet, deux minutes ont été suffisantes aux cyclistes et 38 secondes aux piétons. Bien que ces données soient amenées à évoluer avec des distances plus importantes, le concept de "ville du quart d’heure" encouragera les habitants à marcher ou à prendre leur vélo pour une raison très simple : gagner du temps ! Compte tenu de l’augmentation continue de la population associée à des taux d’urbanisation élevés et aux conséquences du changement climatique, il fait peu de doute que la pression sur les villes et leurs systèmes de transport s’accroîtra dans un futur proche. De plus en plus de responsables municipaux et de décideurs politiques à tous les niveaux le réalisent et prennent des mesures visant à lutter contre ces graves menaces qui pèsent sur la qualité et la durabilité de la vie urbaine.

De plus, la pandémie a entraîné un changement, au moins temporaire, qui s’est traduit par des déplacements moins nombreux, une normalisation du télétravail et la promotion d’une mobilité hyperlocale. Elle a également mis en lumière la nécessité d’offrir d’un accès aux soins plus localisé, d’effectuer un plus grand nombre d’activités en extérieur et de libérer du temps pour que les citoyens puissent entretenir des relations plus authentiques. Mais est-il possible de s’appuyer sur cela et de transformer les quartiers du monde entier et leurs systèmes de mobilité en des "villes du quart d’heure" ?

Compte tenu de l’augmentation continue de la population associée à des taux d’urbanisation élevés et aux conséquences du changement climatique, il fait peu de doute que la pression sur les villes et leurs systèmes de transport s’accroîtra dans un futur proche.

Paris compte parmi les principales villes à avoir mis en œuvre cette idée. Soutenue par Carlos Moreno, la maire Anne Hidalgo a lancé début 2020, dans le cadre de sa campagne de réélection, une série de politiques visant à créer des communautés autosuffisantes, à l’image d’un programme d’investissements de 350 millions d’euros prévoyant la création de pistes cyclables dans chaque rue d’ici 2024 et la suppression de 60 000 places de stationnement. D’autres villes comme Londres, Barcelone, Portland et même Detroit (ma ville natale) adoptent ce concept à leur manière.  À Londres, dans le cadre de l’ambitieux programme "Mini-Hollands", 30 millions de livres ont été octroyées à trois "boroughsafin qu’ils transforment leurs rues pour une pratique du vélo plus sûre et plus pratique. Bien que l’initiative soit toujours en cours, les changements positifs sont déjà bien réels. En effet, 24% des habitants sont susceptibles d’avoir utilisé leur vélo au cours de la semaine écoulée et ils se déplacent à pied ou à vélo 41 minutes de plus par semaine qu’auparavant. Barcelone travaille sur un concept baptisé "superblocs", des quartiers mesurant environ 400 x 400 mètres et dont toutes les rues intérieures sont fermées à la circulation, à l’exception des résidents, des véhicules d’urgence, etc. Les citoyens jouent un rôle central dans la planification de la vision et dans la mise en œuvre de la réinvention de l’utilisation de l’espace. Selon la municipalité, 70% de l’espace actuellement dédié aux axes routiers peuvent être libérés. Portland comme Detroit s’attèlent à la définition de quartiers de 20 minutes. L’objectif ? Que d’ici 2030, 90% des habitants de Portland puissent facilement utiliser la marche ou le vélo pour satisfaire l’ensemble de leurs besoins de base hors travail, notamment leurs courses, les parcs et l’accès aux transports en commun. L’agrandissement des trottoirs, la connectivité des rues et les accès réservés aux piétons de manière générale constitueront une part majeure de ce projet. Detroit retrouve son centre-ville animé et cette évolution me tient vraiment à cœur. En 2007, la ville ne comptait qu’une vingtaine de kilomètres de pistes cyclables. Il y en a désormais plus de 380.

Dan Luscher est urbaniste à San Francisco et a lancé le projet "The 15-Minute City", qui a pour but de partager des idées et des bonnes pratiques venues du monde entier afin de créer des "villes du quart d’heure". Le projet contribue à rappeler le fait que la mobilité est avant tout un moyen d’atteindre un but, en l’occurrence aller d’un point A à un point B (et régulièrement un point C puis un point D). Luscher reconnaît également que la durée du parcours reste un élément essentiel. Néanmoins, si l’accès en fonction des besoins des personnes constitue la considération essentielle, des décisions totalement nouvelles peuvent être prises du point de vue de la planification.

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Dans ces villes, la mobilité doit faire partie du paysage. En d’autres termes, elle doit être partout et disponible en permanence, à l’image de l’eau qui coule du robinet. Votre journée ne commence pas par prévoir où vous devez aller et quand, ni par la manière d’optimiser vos étapes pour gagner du temps. Comme l’eau qui coule du robinet, "elle est disponible là et quand vous en avez besoin, et exactement comme vous le souhaitez". La liberté de se concentrer sur les besoins quotidiens d’un individu et la possibilité pour ce dernier de marcher ou de prendre son vélo pour les assouvir relègue la mobilité au second plan et assure que ces besoins sont accessibles à tous. En outre, grâce à la convergence de la mobilité électrique, de la transformation numérique, de la conduite autonome et du partage, des innovations voient le jour en permanence et favorisent le concept de "ville du quart d’heure". La start-up allemande ONO a par exemple développé un transporteur assisté par pédales (pedal-assisted transporter, ou PAT), une sorte de vélo cargo électrique capable de remplacer les camionnettes de livraison de colis. À l’avenir, le PAT d’ONO pourra également servir pour le transport d’usagers, mais aussi de food truck ou même de "bibliothèque sur roues". Get Henry se distingue de son côté par ses vélos électriques ou ses scooters (ainsi que par un modèle économique flexible) destinés aux hôtels, aux habitants de quartiers résidentiels ou à des livraisons express. Ces options de mobilité alternatives disponibles sur le pas de la porte et faciles à utiliser contribueront à réduire la circulation et à gagner du temps. En outre, elles permettront aux usagers de se concentrer sur le motif de leur trajet plutôt que sur la manière d’arriver à destination et de s’y garer.

Votre journée ne commence pas par prévoir où vous devez aller et quand, ni par la manière d’optimiser vos étapes pour gagner du temps. Comme l’eau qui coule du robinet, "elle est disponible là et quand vous en avez besoin, et exactement comme vous le souhaitez".

La pandémie a frappé le monde entier mais aura tout de même permis de tirer un enseignement : celui d’inciter les villes de tous les continents à se réinventer en mettant l’accent sur les pistes cyclables et les voies piétonnes, en créant une mobilité hyperlocale et en modifiant notre manière de travailler. La période perturbée que nous connaissons nous offre une opportunité de créer des villes plus vertes, plus saines et plus inclusives où chacun peut satisfaire ses besoins quotidiens de base. En fin de compte, nous ne sommes pas face à un phénomène inaccessible ou irréaliste, ni dans un rêve. Mais la mobilité a un nouveau rôle à jouer, celui d’être aussi simple et accessible que l’eau qui coule du robinet.

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