Digital Saint-Etienne : quand l’alliance du Public et du Privé rapproche la Smart City de l’habitant
Nous avons rencontré Jean-Pierre Berger - 8e Adjoint en charge du développement durable, les transports et le logement de Saint-Étienne et Bruno Hervet - Vice-Président Exécutif Smart & Resourceful Cities de SUEZ, afin de comprendre les tenants et aboutissants de "Digital Saint-Étienne" la version bêta de ce projet.
HUB Institute : En quoi consiste concrètement la plateforme du projet Digital Saint-Étienne ?
Jean-Pierre Berger : L’objectif initial était de mettre en place des solutions innovantes, et surtout reproductibles, pour permettre aux habitants d’un quartier de gérer au mieux leur consommation d’énergie. A terme, l’intérêt est évidemment de permettre au citoyen de reprendre le contrôle de ses consommations, et de lui offrir un moyen de faire des économies.
Bruno Hervet : Cette plateforme agrège des données et elle les enrichit en les croisant avec d’autres, partagées par les partenaires de la ville. Ces dernières sont stockées et ouvertes pour permettre à des développeurs de créer toutes sortes d’applications répondant aux enjeux sociaux qui motivent le projet.
HUB Institute : Qu’est-ce qui a motivé une telle alliance entre Saint-Étienne et Suez ?
J-PB : Depuis de nombreuses années déjà, nous déléguons la gestion de l’eau à une société qui dépend du groupe SUEZ. Ce contrat vise à optimiser la gestion de l’eau de Saint-Étienne (prix, qualité de service, économie circulaire, maintenance…) avec des éléments techniques très innovants. Il était tout naturel pour nous de faire confiance à un partenaire avec lequel nous sommes en relation depuis si longtemps.
BH : La réciproque est tout à fait vraie ! La première des innovations dans cette opération est la réponse conjointe de deux acteurs : la ville et l’entreprise côte à côte. Je pense que c’est une configuration à laquelle aucun des acteurs n’a été confronté auparavant dans le cadre de la réponse à un appel à projets de l’État. La relation entre SUEZ et Saint-Étienne est effectivement historique et gage de confiance, ce qui est absolument crucial pour être en mesure de proposer une solution efficace.
HUB Institute : Le projet est aujourd’hui testé sous l’appellation Digital Saint-Étienne. Où en êtes-vous ?
J-PB : En ce qui concerne l’aspect technique, il y a eu énormément de travail. Nous avons pu lancer un prototype il y a un peu plus d’un an. Aujourd’hui la plateforme de données est opérationnelle et les applications utilisateur vont progressivement pouvoir émerger. Pour ce faire, nous avons notamment réalisé un Hackathon il y a 18 mois afin de permettre à différentes startups de découvrir la plateforme et pouvoir proposer des idées de services innovants répondant à nos enjeux utilisateur.
Au-delà de l’aspect technique, il nous faut aussi avancer sur la sensibilisation des habitants. Sur toute la gestion des "fluides", c’est chez eux qu’il faut installer les différents capteurs nous permettant de relever les données de consommation présentées sur la plateforme. L’expérimentation prend place dans l’un des quartiers ANRU (rénovation urbaine) de Saint-Étienne. Cette phase d’implication de l’habitant, qui est un travail continu, est réalisée grâce à la collaboration du bailleur social de la ville.
En plus des habitants, c’est l’ensemble de la collectivité qui s’engage, car nous venons de passer une convention afin de pouvoir intégrer au projet les bâtiments publics comme les écoles, les bibliothèques municipales, crèches… Chaque bâtiment public pourra tout autant examiner sa consommation d’énergie à un instant T afin de pouvoir la gérer au mieux.
HUB Institute : Pourquoi avoir spécifiquement choisi un quartier ANRU ?
BH : L’angle de ce projet est avant tout social. La question que l’on s’est posée, c’est comment se baser sur l’usage de la donnée pour améliorer la qualité de vie des habitants, et leur redonner du pouvoir d’achat. Les quartiers en difficulté sont donc les premiers concernés et les premiers à pouvoir tirer profit de ce type d’outils. Cette plateforme démontre parfaitement qu’il est possible d’allier les plans de rénovation de quartiers et le numérique.
HUB Institute : Pour convaincre les habitants d’installer des capteurs chez eux, les questions de privacy doivent être au centre de votre projet ?
J-PB : Évidemment, la question du respect et de la sécurisation des données personnelles est un réel enjeu. Comme nous l’évoquions précédemment, nous travaillons au plus près des habitants et sur la base du volontariat. Rien ne leur est imposé. Il s’agit d’une condition impérieuse de ce projet. Et jusqu’ici, ce dernier est plutôt bien reçu.
Nous avons mis en place une gestion stricte du consentement gérée par le bailleur social, car c’est par l’intermédiaire de celui-ci que nous sommes en mesure d’approcher les populations cibles. Ce qui nous permet de leur détailler le projet, et surtout les finalités qu’eux-mêmes peuvent en retirer.
BH : Par ailleurs, la plateforme n’expose que des données publiques ouvertes qui sont réutilisables.
HUB Institute : Combien coûte ce projet et comment est-il financé ?
J-PB : Le montant global du projet, pour toutes ses composantes, incluant la rénovation urbaine est de 7 millions d’euros. Concernant le volet numérique, et plus particulièrement le développement de la plateforme, SUEZ participe à hauteur de 1,3 million d’euros, et l’ANRU à hauteur de 900 000 €. De son côté, la ville de Saint-Etienne et la Métropole participent respectivement de 800 000 et 500 000 euros. Le reste étant réparti entre les différentes parties prenantes du projet, notamment les bailleurs sociaux.
HUB Institute : Quelles compétences sont mobilisées et comment les organisez-vous au sein de cette alliance public/privé ?
BH : Il est très important de garder à l’esprit que pour construire cette plateforme nous sommes partis des "usages" et besoins concrets du citoyen. Avant tout développement, nous avons travaillé le "pourquoi" en nous adressant directement à la population cible. C’est d’autant plus notable que c’est souvent l’inverse qui se produit pour les plateformes digitales, et c’est à l’utilisateur final d’adapter ses usages à la technologie.
L’ensemble du projet est supervisé par un comité d’élus, qui s’assurent qu’il respecte, à chaque phase, le cadrage établi. La partie opérationnelle est gérée par un comité de projet. Celui-ci coordonne l’ensemble des ingénieurs du digital qui façonnent l’architecture du système pour ensuite programmer la plateforme.
HUB Institute : Quels sont les autres partenaires technologiques intégrés à ce projet ?
BH : Nous avons tout d’abord un certain nombre de partenaires qui mettent à notre disposition les jeux de données afin d’enrichir celles que nous stockons nativement sur la plateforme (gestion de l’eau, de l’énergie…). On parle d’énergéticiens, d’opérateurs de transports, etc.
Enfin il y naturellement tous ceux qui créent les applications. Je peux citer l’École des Mines de Saint-Étienne par exemple, mais il y a aussi des entreprises privées (petites et grandes) ainsi que des communautés de développeurs indépendants.
L’idée est de créer un écosystème composé de partenaires divers, parties prenantes de la ville, mais aussi des gens qui nourrissent et se servent de la donnée.
HUB Institute : Avez-vous un exemple d’application proposée par des tiers à partir des données de la plateforme ?
J-PB : Je peux vous citer un exemple très particulier issu du Hackathon que nous avons organisé.
Dans les quartiers ANRU, on observe souvent un énorme problème de vacance des logements, de l’ordre de 15 à 18%. Les gens ne veulent plus s’installer dans ces zones peu dynamiques. Un tiers nous a proposé une application permettant de mettre en relation les propriétaires de rez-de-chaussée de ces immeubles avec des représentants d’associations, ou marques, ou des habitants qui ont un projet spécifique.
Ils peuvent ainsi profiter d’espaces proches de l’habitant pour proposer des initiatives temporaires, activités, magasins éphémères… Ce type d’action a pour effet de redynamiser les quartiers et de lutter contre leur désertification. Vous noterez que c’est un service qui n’est pas construit autour de la gestion d’un fluide en particulier. On se sert des données publiques accessibles sur la plateforme pour proposer un outil totalement différent servant les collectivités.
HUB Institute : Il semble que les premiers retours soient positifs. En conclusion, comment expliqueriez-vous la réussite d’un projet issu de l’alliance public/privé ?
BH : De mon côté je dirais que le succès est avant tout défini par la vision politique. C’est la vision des élus, leur ambition pour la ville et ses citoyens qui doit définir la structure des projets de smart city. La technologie, elle, n’est qu’un moyen, et au sein de la ville elle ne constitue jamais à elle seule l’innovation. Ce sont plutôt les choix de gouvernance, de vision politique et les usages qui sont faits de cette technologie qui motivent cette innovation.
J-PB : Aujourd’hui la plateforme est opérationnelle et ce qui compte à ce stade c’est de souligner que le projet est déjà pris en compte par une partie des habitants. Pour nous, c’est une fierté que de pouvoir le mener au bout et de participer à ce grand chambardement qu’est la Smart City d’une manière très concrète. Car on en parle beaucoup, et pourtant on constate rarement ses effets pour l’habitant.
Le projet lui-même crée une dynamique au niveau des quartiers, de la ville et plus largement de la métropole. Tout le monde en parle et comprend les bénéfices potentiels.