DNVB : vouloir devenir une licorne est un mauvais combat
La France recense 7 licornes selon la définition originale d'Aileen Lee. C'est-à-dire des entreprises qui ont moins de 10 ans et qui atteignent des valorisations supérieures à 1 milliard de dollars avant d'être cotées en bourse. À titre de comparaison, l'Allemagne en a 9, le Royaume-Uni, 16, la Chine, 90, et les États-Unis, 165. Mais sous le vernis de la success story, devenir une licorne n'est pas le véritable enjeu des DNVB.
DNVB et licorne : deux mots qui ne vont pas ensemble
Plus une DNVB grandit, plus elle a besoin de fonds pour soutenir ses opérations et alimenter sa croissance. La plupart des DNVB, en fonction de leur secteur d'activité et de leur maturité, disposent de plusieurs options de financement qui vont du capital-risque à l'acquisition en passant par l'introduction en bourse. Mais les vraies success-stories ne sont pas légion.
Des marques telles que Dollar Shave Club (rachetée par Unilever en 2016) et Bonobos (rachetée par Walmart en 2017) ont été parmi les rares DNVB évaluées à un milliard de dollars. On peut aussi citer Casper, Allbirds, Away et Glossier. Aussi symbolique que soit ce statut, cela représente peu de marques dans un océan de milliers de DNVB. Et surtout, ce sont principalement des entreprises américaines.
Quand on revient aux fondamentaux des DNVB, on réalise que celles-ci se sont développées rapidement en opposition aux méga marques existantes, d'Amazon à Costco en passant par les grands retailers traditionnels. Parce qu'elles sont surtout présentes sur des marchés de niche, ultra fragmentés, il est très difficile d'atteindre la puissance d'une licorne. Cette fragmentation est le fruit d'une transformation digitale qui a rebattu les cartes de manière importante. Les consommateurs sélectionnent leurs achats avec attention, on mixe retail physique, retail digital, drive-in-store et pick up. Et il faut que tout aille de plus en plus vite et sur tous les supports : chargement des pages web, livraison, processus d'achat, support client, etc. Cette recomposition a notamment permis de voir émerger les DNVB pour répondre à de nouveaux besoins. Mais comment et jusqu'où peuvent-elles grandir ? D'ailleurs, une DNVB licorne est même un oxymore : parce que leur idée et leur vision ne sont justement de ne pas de devenir des entreprises distribuant des produits de masse.
Si une DNVB veut devenir une licorne, elle doit abandonner ses valeurs profondes et son ADN. Elle doit grossir vite, se standardiser et faire entrer des fonds d'investissement qui attendent un retour rapide. En s'industrialisant, le risque est grand qu'elle perde ce pour quoi elle avait conquis ses clients : une proximité unique, une relation presque amicale, une marque avec des spécificités fortes et des valeurs clés.
Leader de niche plutôt que licorne
Une DNVB n'a pas besoin d'être une licorne pour réussir. Elle peut maintenir un chiffre d'affaires annuel de dizaines de millions de dollars et prospérer en tant que leader de niche si elle s'oriente vers un marché plus petit.
C'est justement parce qu'elles occupent des niches très spécifiques et choisissent au départ consciemment de s'inscrire en opposition avec des marques de masse qu'elles ont été capables de réinventer le monde du commerce et de réenchanter la relation client. Plus la niche est étroite, et plus elle peut être pertinente. Mais moins elle pourra soutenir la croissance d'une licorne. Cette spécificité limite la taille de leur marché et donc leur croissance. Mais est-ce un problème pour autant ? Bien au contraire.
Les DNVB se concentrent sur le produit. Elles mettent en place des processus très spécifiques pour en garantir la qualité, contrôler la supply chain et verticaliser leur production. Cela signifie donc une capacité de production limitée, mais une qualité supérieure et une plus grande maîtrise de leur offre.
Pour devenir une licorne, il faut être scalable très rapidement pour massifier leurs produits. En supprimant cette différenciation essentielle, elles perdent de facto leur statut. En restant leaders de niche, en grossissant sans trahir leur ADN et leurs valeurs, elles peuvent continuer à se développer sans perdre le contrôle. Plus les DNVB restent dans une niche avec de fortes limitations, plus elles peuvent grandir.
Sans marque, pas de DNVB
Impossible de dissocier l'importance du branding dans la réussite d'une DNVB. Or, une marque dans un univers fragmenté prend beaucoup de temps à se construire. Il faut cultiver la patience, créer une relation authentique avec ses clients, nourrir sa marque, structurer son organisation et connecter ses valeurs avec des enjeux sociétaux importants.
Pour croître rapidement, il faut faire rentrer des investisseurs qui arrivent avec la pression de la rentabilité à court ou moyen terme. Un temps souvent trop court pour développer sa marque, et pouvoir se réinventer en permanence. Le temps de la croissance de la DNVB n'est pas celui de la start-up technologique.
Les DNVB peuvent être solides sur leur marché, mais fragiles et à l'avenir incertain si elles sont pressées par des investisseurs cherchant la prochaine licorne. La croissance des DNVB doit être saine, maîtrisée et planifiée minutieusement au risque d'exploser au vol. En cas de doute, souvenez-vous de l'histoire de Brandless. C'est une étude de cas intéressante à lire et à relire, où la question de la marque et des fonds d'investissement jouent des rôles moteurs dans son échec.