Psychologie du DRH, profil numéro 1 : le socio-coach
Objet
Etude des caractéristiques (postures et modes de travail) du DRH nouvelle génération.
Sujet de la séance
Observation de la dimension socio-coach des DRH avec Emeline Bourgoin, directrice des ressources humaines chez ING.
Travaux de référence
Ouvrage à paraître en 2019 par Emmanuel Vivier, cofondateur du HUB Institute, et Caroline Loisel, Senior Digital Consultant, portant sur le futur du management et des fonctions RH. Les auteurs définissent 2 nouvelles postures (Business Accélérateur et Entrepreneur) ainsi que 2 nouveaux modes de travail (Socio-coach et Techno-agile) pour définir le DRH du futur. Une configuration résumée par l'acronyme B.E.S.T.
Début de la séance
HUB Institute : Comment résumeriez-vous votre rôle de DRH aujourd’hui ?
Emeline Bourgoin : Pour moi, être DRH c’est être Directrice des Réseaux Humains. Le DRH est un acteur stratégique et facilitateur de l'entreprise. Tous les PDG avec lesquels j'ai travaillé attendaient de moi que je les challenge personnellement, que je sois leur "sparing partner", pour les orienter et faire en sorte que les objectifs globaux de l'entreprise et ses forces vives soient cohérents.
Le DRH est maintenant attendu sur sa capacité à positionner stratégiquement le bon capital humain et à l’accompagner pour atteindre les objectifs de l'entreprise.
HUB Institute : Quels sont vos enjeux actuels ?
Sans les Femmes et les Hommes, l’entreprise ne peut pas réussir. Mon enjeu principal est donc, grâce à une politique RH pragmatique et orientée business, de renforcer la place de la richesse humaine au cœur de l’entreprise. Ainsi, la vision RH et les actions déployées aux côtés du comité de direction ne doivent pas rester transactionnelles.
L’autre enjeu majeur aujourd’hui est de réussir à définir, suivre et partager des indicateurs qui donnent du sens à nos actions et en prouvent la valeur opérationnelle. Or nous travaillons sur le "soft", un domaine où les données ne sont pas évidentes à rationaliser, encore trop rares ou insuffisamment valorisées.
Devenir une fonction RH orientée Data est essentielle aussi pour influencer la stratégie de l’entreprise. Il convient, dans ce cas, de nous former, de créer de nouvelles fonctions dans nos services mais également d’accompagner nos leaders à développer leur intelligence émotionnelle et à savoir la valoriser.
HUB Institute : D’une certaine manière, le DRH moderne n’est-il pas à la fois sociologue et humaniste ?
EB : Le "sociologue" est quelqu'un qui étudie les comportements humains grâce aux data et d’autres éléments pragmatiques. Il est peu versé dans l'émotionnel, alors qu’il est nécessaire pour le DRH de faire preuve de capacité à comprendre et intégrer les émotions avec celles des autres.
Le DRH doit à la fois faire preuve d'empathie et de capacités d’adaptation. Il doit aussi être solide, avoir beaucoup de courage et assumer ses positions. Il est parfois un peu schizophrène, à jongler entre les intérêts de l’entreprise et ceux des salariés mais tout cela pour trouver le meilleur équilibre.
HUB Institute : Qu’est-ce qui peut le freiner dans cette humanisation ?
EB : Un frein majeur, c’est la recherche du profit à outrance. Le modèle économique actuel fait que les directions générales oublient parfois les salariés et en viennent à prendre des décisions qui sont contraires à toute humanité. Le second frein, c'est de ne pas être intégré au Comité de Direction de l’entreprise. Cette place est essentielle pour mettre l’humain au cœur de chaque stratégie.
Je me lève chaque matin pour placer le capital humain au même niveau que le capital financier.
HUB Institute : Face au boom de l’IA, ce capital humain n’est-il pas menacé ?
EB : Je suis de nature optimiste. Je considère que la technologie permet à l'homme d'être plus intelligent. L'intelligence émotionnelle permettra toujours à l'homme de dépasser l'intelligence artificielle.
Bien sûr, il est certain que cela souligne un autre enjeu du métier de DRH : comment accompagne-t-on les salariés pour qu’ils soient acteurs de leur développement ? Comment personnaliser cet accompagnement dans des structures où les équipes RH se réduisent ?
Je m'interroge notamment sur les gens qui ont aujourd'hui sur des tâches simples facilement robotisables. Face au développement de l’IA, nous avons la responsabilité de les aider à mettre en œuvre leurs capacités sur des tâches à plus forte valeur ajoutée.
L’éducation, à l’école et dans l’entreprise, nous permettra de ne pas laisser certaines personnes au bord de la route. Elle est clé.
HUB Institute : Comment procéder ?
EB : Le DRH doit être au cœur de ce changement, et garder à l’esprit qu’il est lui-même un manager qui doit continuer à apprendre sans cesse.
Tout commence par une veille constante des nouvelles façons de travailler, des nouvelles compétences métier à travers les données internes mais également la veille externe. Nous passons par internet, les réseaux sociaux, mais aussi les conférences et les témoignages... Je regarde en permanence aussi ce qu’il se passe à l’étranger car cela nourrit mes pratiques.
Je considère que la fonction RH doit être en permanence à l'écoute du marché pour en ressentir les tendances, les tester. J’encourage toujours mes équipes à être innovantes.
HUB Institute : Une réussite concrète dont vous êtes fière ?
EB : Une des réussites dont je suis fière est le premier projet de transformation auquel j’ai participé et qui a été un long et intense parcours humain. Ça s’est passé chez CANAL+, au centre d’appel où j’étais responsable RH. L’enjeu était de transformer l’organisation de ce centre pour qu’il puisse atteindre plus efficacement les objectifs de l’entreprise. Ainsi, au sein de l’équipe projet, j’ai pu constater que le levier principal de réussite de cette transformation était l’humain.
Nous avons accompagné la politique de développement et de mobilité des conseillers. Nous avons dû également gérer la mauvaise performance et accompagner les managers dans ce processus pas toujours bien maîtrisé. J’ai contribué à développer une dynamique de performance, positive, au sein de cette équipe et ce en forte collaboration avec nos instances représentatives.
Nous avons réussi grâce à l’implication de tous : les salariés, les élus et bien entendu le management de l’entreprise.
HUB Institute : Un échec particulier ?
EB : Lors de ma dernière expérience, la nouvelle direction m’a confié tout un projet de réorganisation au sein de mon entité. J'ai foncé tête baissée : il était important pour moi que les équipes RH soient exemplaires dans la transformation et notamment nous nous devions d'être plus agiles et d’avoir la capacité à nous organiser en mode projet.
Avec une petite équipe projet et quelques personnes du business, j’ai imaginé toute une nouvelle organisation, avec une vision extrêmement forte : un travail en équipes produits RH orientées business, organisées en mode agile, avec des compétences multiples, qui nous permettent d’apprendre en permanence, de donner une impulsion à l’entreprise pour qu’elle soit apprenante. L’adhésion au projet a été très forte. Or, j’ai omis d'impliquer suffisamment ma responsable dans cette réflexion.
Au bout de six semaines de travail acharné ; elle m'a appelée en me disant qu’on avait fait un travail formidable mais que l’organisation n’était pas du tout prête à une transformation aussi radicale. Cela a fait l’effet d’une douche froide pour l’ensemble des gens que j’avais impliqués. Nous nous sommes projetés dans un modèle RH 3.0 pour revenir ensuite à un modèle plus classique…
Je me suis rendue compte que la responsabilité de cette lourde déception m’incombait.
Quel que soit le projet il faut toujours penser à bien embarquer son manager et avoir les bons stakeholders en soutien.
Fin de la séance
Prochaine séance
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