Psychologie du DRH, profil numéro 2 : le business accélérateur
Objet
Etude des caractéristiques (postures et modes de travail) du DRH nouvelle génération.
Sujet de la séance
Observation de la dimension de business accélérateur des DRH avec Claude Monnier, directeur des ressources humaines chez Sony Music Entertainment.
Travaux de référence
Ouvrage à paraître en 2019 par Emmanuel Vivier, cofondateur du HUB Institute, et Caroline Loisel, Senior Digital Consultant, portant sur le futur du management et des fonctions RH. Les auteurs définissent 2 nouvelles postures (Business Accélérateur et Entrepreneur) ainsi que 2 nouveaux modes de travail (Socio-coach et Techno-agile) pour définir le DRH du futur. Une configuration résumée par l'acronyme B.E.S.T.
Début de la séance
HUB Institute : Lorsque je vous parle de DRH "business accélérateur", qu'est-ce que cela vous inspire ?
Claude Monnier : Le terme "d’accélérateur" est important, car il implique forcément la maîtrise de la notion du temps. Après tout, ne nous enseigne-t-on pas que l’accélération est une distance divisée par un temps ? Dans cette équation, dénominateur et numérateur ont de l’importance.
Si le temps est une unité de mesure essentielle de tous les projets d’entreprise, il est impératif de noter que chaque fonction métier admet sa propre échelle de temps. La fonction RH, particulièrement en France où le code du travail fait plus de 6000 pages, admet un temps long. Se positionner comme un accélérateur de business dans ces conditions est donc un objectif très ambitieux puisqu’il nous est déjà souvent très difficile de ne pas le ralentir.
HUB Institute : Vous n'êtes donc pas d'accord avec cette notion de "business accélérateur" ?
Claude Monnier : Tout dépend de mon humeur du matin. S’il fait froid et que je suis de bonne humeur je vous dirai que je suis d’accord. S’il fait trop chaud et que je suis de mauvaise humeur, je vous répondrai que non.
La fonction RH a deux versants importants à connaître :
Dans un contexte positif de croissance, vous avez la charge de développer les ressources humaines pour accompagner la création de valeur de l’entreprise. Vous êtes en relation directe et efficace avec l’ensemble du corps social (du collaborateur à la direction, passant par toutes les strates du management). Dans ces conditions, vous pouvez considérer que c’est un but louable de vouloir accélérer votre business.
L’autre versant de notre métier consiste à gérer les contentieux. Lorsque vous êtes dans un contexte plus négatif de décroissance, vouloir être un accélérateur de business implique forcément d’opérer des casses sociales et le coût à payer risque d’être trop important.
HUB Institute : Si je vous dépeins comme un équilibriste en déplacement sur la corde du temps, quelle est votre réaction ?
Claude Monnier : En effet, sur un même exercice fiscal, voire une même journée, il est possible de connaître des temps forts et des temps faibles. Charge au DRH et ses RH managers de ne pas confondre vitesse et précipitation ; de ne pas confondre la finalité avec les moyens ; de toujours se souvenir de leurs fonctions premières.
Nous garantissons, avant tout, les droits et les devoirs des deux parties en présence (le corps social et la société en tant que personne morale) et nous minimisons les risques encourus par l’entreprise (risque de contentieux individuels et/ou collectifs).
HUB Institute : Êtes-vous de bonne humeur aujourd’hui ?
Claude Monnier : Il fait froid et nous sommes lundi ! Je suis forcément d’excellente humeur !
HUB Institute : Je voudrais que vous vous imaginiez comme un DRH dans un "contexte positif de croissance". Quels seraient vos plus grands enjeux en adoptant la posture du business accélérateur ?
Claude Monnier : On peut en citer trois : comprendre, connaître et maîtriser son mid management. Dans ce triangle isocèle, le DRH doit considérer de la plus haute importance d’entretenir une relation symétrique et permanente entre le manager (quel que soit son niveau) et sa fonction RH.
Il est primordial de comprendre comment affecter ces managers dans l’organisation, mais aussi connaître leurs appétences pour les nommer efficacement. Nous pouvons les choisir parce que ce sont des experts métier, ou à l’inverse parce qu'ils ont une autorité naturelle, un sens politique aiguisé et rassurant. Le curseur peut se positionner sur un nombre infini de valeurs entre ces deux extrêmes.
Cependant, manager est un métier à part entière que tous les experts ne maîtrisent pas forcément. C'est pourquoi il convient de maîtriser le management et le conseiller sans prendre sa place. En restant derrière lui. Cela me fait penser à la parole de Nelson Mandela :
Un leader… est comme un berger. Il reste derrière le troupeau, laissant les plus adroits aller devant, après quoi les autres suivent, sans réaliser que, tout le long, ils ont été dirigés par-derrière.
Il est courant d'observer que le manager qui traverse un temps fort a tendance à écarter la DRH de ses affaires. A l’inverse, s’il traverse un temps faible il la sollicite pour réclamer de l’aide, souvent radicale, et dirigée sur un ou des collaborat.eurs.rices qui portent le chapeau sans forcément assimiler ses propres erreurs de management.
Or les sciences humaines en entreprise admettent que le plus grand facteur de réussite ou d’échec c’est le management. Un poisson pourrit toujours par la tête.
Dans un second temps, il est certain que le rôle du DRH est de comprendre l’activité de l’entreprise dans sa globalité et donc savoir ce que fait chacun des métiers qui la composent.
HUB Institute : Alstom, plus de 300 000 salariés dans le monde, pour plus de 700 familles de métiers. N'est-ce pas un peu idéaliste que de penser que le DRH peut maîtriser tout ça à la fois ?
Claude Monnier : C’est peut-être un peu provocateur, mais le DRH d’Alstom est payé pour ça. Il n’y a pas de fonction de business accélérateur si d’abord on ne côtoie pas les strates managériales, mais ce sera tout aussi difficile si l’on ne connaît pas les grandes familles de métiers et leur arborescence dans l’organisation.
Après tout, on ne fait pas de super îles flottantes si l’on ne sait pas battre des blancs en neige.
Son rôle est de considérer que, quelle que soit la taille de l’entreprise, il va pouvoir optimiser l’ensemble des interactions du corps social à l’instant T. Cela dans le but d'assurer, du point de vue juridique et économique, le bon fonctionnement de ces interactions pour que la production collective corresponde aux objectifs fixés.
Cette optimisation repose sur l’alimentation du tissu social en nouvelles compétences, les développer quand c’est nécessaire, et se séparer de celles qui ne sont plus requises.
HUB Institute : Comment le DRH peut-il procéder pour rester constamment à la page ?
Claude Monnier : Tout repose sur une qualité humaine essentielle : une grande curiosité intellectuelle. C’est un métier qui repose sur les sciences humaines et qui implique qu’il faut savoir constamment remettre en question son savoir, être capable de désapprendre pour mieux apprendre.
Le DRH feignant est condamné à l’échec car il n’est pas en mesure d’assurer son devoir d’exemplarité et de performance. Nous sommes parmi ceux à qui l’on demande travailler le mieux et le plus vite.
Il est certain que se cultiver sur autant de familles de métier nécessite un travail cognitif conséquent, cependant on ne demande pas au DRH de devenir un spécialiste de tous ces domaines. Pour cela, il peut s’appuyer sur différents relais, à commencer par sa direction, son équipe, et les différents partenaires sociaux.
HUB Institute : On dit souvent que la moitié des métiers de 2050 n’existent pas aujourd’hui. Comment anticiper ce que l’on ne peut pas encore apprendre ?
Claude Monnier : Il faudrait ajouter une quatrième caractéristique : la capacité du DRH à travailler par prototype, à faire de la recherche et développement RH.
Lorsqu'un DRH sait travailler ainsi vous pouvez le recruter en toute confiance : il ne vous décevra pas. Il sera capable d’assurer le bon fonctionnement de votre organisation dans le présent, mais aussi de la projeter dans le futur. Ce qui est bien normal pour une fonction qui est résolument tournée vers l’avenir, même si paradoxalement, nous sortons d’une décennie entière où elle s’est tournée vers le passé.
HUB Institute : Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?
Claude Monnier : Et bien tout simplement parce que ce n’est pas comme cela que l’on forme les nouvelles générations de RH. On diplôme un peu plus de 3000 masters 2 RH en France avec un enseignement à 90% académique et qui transmet une définition du métier tournée vers le passé (culture du secret, méthodes administratives lourdes…) Pourtant notre métier représente exactement l’inverse. Il doit être agile et garder la porte de son bureau ouvert !
En France, nous préparons mal les futurs RH à ce qu’est et ce que sera le monde de l’entreprise.
HUB Institute : Pourtant vous avez réussi à adopter une logique totalement inverse. Qu’est-ce qui vous y a conduit ?
Claude Monnier : J’ai rejoint les industries culturelles et créatives au moment où elles connaissaient une mutation majeure et structurante et j’ai eu la chance de tomber sur un président brillantissime (mon boss actuel) qui est définitivement tourné vers l’innovation, la créativité, en bref : l’avenir.
La conjonction de ces deux éléments m’a très vite convaincu de la nécessité pour moi de désapprendre mes habitudes en matière de RH management, et de procéder d’une autre manière.
HUB Institute : Pouvez-vous développer le fond de votre pensée ?
Claude Monnier : Dans ces industries culturelles, les ressources humaines s’inspirent beaucoup des processus créatifs des artistes.
D’abord nous considérons comme très important les temps faibles, car on est souvent très créatif pendant ces moments là, tout comme de nombreux artistes ont écrit leurs plus belles chansons à la suite de tragédies qu’ils ont vécues.
Qui plus est, la logique créative repose sans cesse sur une remise à zéro des compteurs. Pour créer de belles œuvres, il faut très souvent faire preuve d’une relative abstraction de ce que l’on a pu faire avant. Sinon la créativité devient contrainte, à mi-chemin entre le plagiat et le manque d’originalité.
La fonction RH doit savoir raisonner de la même manière car elle doit à tout prix être créatrice (de sens au travail, de liens sociaux…). Si vous êtes sous l’emprise de plusieurs décennies de connaissances académiques anciennes, vous ne pourrez rien créer de pertinent.
A l’inverse, si vous parvenez à prendre de la distance sur ces dernières, les percevoir comme des expériences et non des cadres strictes, et de proposer des solutions qui n’existent pas (d’où le principe de R&D et de prototypes que j’évoquais précédemment) vous devenez un DRH créateur de valeur et vous accélérez votre business.
Fin de la séance
Prochaine séance
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