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Artificielle, émotionnelle, relationnelle: mariage des intelligences au service des RH ?

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Artificielle, émotionnelle, relationnelle: mariage des intelligences au service des RH ?

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Alors qu’études après études certains s’échinent à estimer le nombre d’emplois qui disparaîtront avec l’avènement de l’IA, aucune ne semble faire l’unanimité. Accompagnant cette implacable révolution technologique, nous assistons à l’émergence de nouvelles formes “d’intelligence” qui abolissent la rivalité homme/machine pour au contraire en faire de véritables alliés au service de l’organisation.
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De nombreuses questions se posent alors : quelles sont ces nouvelles formes d’intelligences ? Comment s’acquièrent-elles ? Quelles mutations impliquent-elles pour les responsables des ressources humaines d’un côté et les managers de l’entreprise de l’autre ? Toujours sur le pont de ce fier galion qu’est le HUBTALK RH & Leadership, Caroline Loisel, Senior Digital Consultant du HUB Institute nous guide en mer inconnue, accompagnée d’experts multi-disciplinaires du sujet. Du consultant en intelligence artificielle, au docteur en psychologie cognitive, en passant par des chefs d’entreprises, tous ont donné de leur temps pour entreprendre ce voyage sur les vagues du changement qui agitent le monde des RH et de l’entreprise.

IA : grand mot, mais pas gros mot !

Les intelligences artificielles possèdent aujourd’hui de vraies capacités cognitives. Elles reconnaissent les questions, les traitent, s’adaptent… Mais pour autant ont-elles une intelligence émotionnelle ?

- Thierry Nadisic, Professeur associé à l’EM Lyon

Qu’est ce que l’IA ?

Révolution pour certains et buzzword pour d’autres, l’IA est au centre de tous les fantasmes. Mais au fond, qu’est-ce que l’intelligence artificielle ? Pour Carole Lailler, docteure en sciences du langage et consultante en intelligence artificielle « actuellement, l’intelligence artificielle n’a d’intelligence que le nom. Elle ne fait que suivre une recette de cuisine : à partir d’ingrédients (la data) et de process spécifique (instructions) elle obtient un gâteau (le résultat) ».

Carole insiste également sur l’importance de la donnée dans le processus d’éducation de ces intelligences artificielles et proscrit le Big Data au profit de la Smart Data, rendant les algorithmes plus intelligents et moins soumis à des biais cognitifs.

Mais alors pourquoi l’IA est-elle est une si grande menace pour le monde du travail ? « Même si les IA n’ont pas atteint l’étape dite de singularité, elles ont très largement dépassé, dans de nombreux domaines spécifiques, les capacités cognitives humaines de traitement de l’information » explique Thierry Nadisic. Cette nouvelle intelligence affecte donc dans un premier temps les métiers à faible valeur ajoutée, ce que démontre d’ailleurs une étude publiée en mai 2018 de McKinsey.

L’IA c’est avant tout un débat sociétal et politique. C’est a nous de voir ce que nous voulons en faire et jusqu’où nous voulons aller !

- Emmanuel Vivier, cofondateur du HUB Institute

L’IA au service des RH

Appliquée au monde des ressources humaines, l’IA permet un réel gain de temps. L’une des formes les plus prisées aujourd’hui est le chatbot. Si beaucoup estiment que ces robots conversationnels ne sont pas vraiment des intelligences artificielles, c’est principalement, car ils ne sont pas encore au point.

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« Il existe 2 types de chatbots : ceux à vocation relationnelle et ceux effectuant des tâches précises. On a tendance à beaucoup fantasmer sur les premiers, mais ils n’en sont encore qu’à leurs balbutiements dans les laboratoires » nous confie Carole Lailler.

Pour les RH, ce sont donc les chatbots effectuant des tâches précises qui sont privilégiés. Avec de l’entraînement, ce dernier devient capable d’accompagner l’employé dans ses questionnements par rapport à ses droits, ses demandes de congés, etc.

« Un chatbot bien fait c’est un chatbot poli, qui connaît les tenants et les aboutissants de son domaine et qui est capable de faire appel un humain si il considère que sa réponse n’est pas suffisante. » -  Carole Lailler

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L’IA revêt aussi d’autres formes : dans le processus de recrutement, elle peut, par exemple, effectuer un premier scan des profils pour trouver ceux qui conviendront le mieux à l’entreprise. En jouant ce rôle de facilitateur, l’intelligence artificielle permet aux collaborateurs de se focaliser sur les entretiens. Caroline Loisel et Emmanuel Vivier, cofondateur du HUB Institute, rappellent le cas d’Unilever qui a intégré les neurosciences et l’intelligence artificielle a ses ressources humaines. Résultat : l’entreprise peut compter sur une plus grande diversité de profils et la durée du processus de recrutement a été divisée par 4.

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A gauche : Emmanuel Vivier, cofondateur du HUB Institute. A droite : Caroline Loisel, Digital Senior Consultant

Une intelligence limitée

Toute aussi puissante qu’elle soit, l’IA reste tout de même limitée. Si l’on parlait précédemment des biais cognitifs dont peuvent souffrir certaines intelligences artificielles, le principal défaut de l’IA réside dans un constat simple : elle n’est pas humaine et manque d’empathie. Ce manquement relègue l’intelligence artificielle à la fonction de simple outil.

« Une relation, qu’elle soit professionnelle ou personnelle, réside sur l’addition des compétences et de la chaleur humaine. L’IA n’a pour l’instant que le premier composant. » - Thierry Nadisic

Intelligence émotionnelle (IE) : la réponse appropriée à l’IA ?

Apparue 40 ans après la première évocation de l’intelligence artificielle, la notion d’intelligence émotionnelle n’a eu de cesse d’évoluer. Pour ses pères fondateurs, les psychologues Peter Salovey et John Mayer, elle se veut « la capacité pour une personne de reconnaitre, comprendre et maîtriser ses propres émotions, mais également d’appréhender celle des autres ».

Pour Cyril Couffe, directeur de la chaire "Talents de la transformation digitale" à l’Ecole de Management de Grenoble et professeur de psychologie appliquée, on peut la définir comme une forme “d’intelligence relationnelle” où la conscience et la maîtrise de soi cohabitent avec une conscience sociale aiguë et la capacité de gérer des relations.

L’intelligence émotionnelle est une forme d’intelligence ! Comme pour l’intelligence cognitive, elle demande une perception et un traitement de l’information.

- Thierry Nadisic

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L’intelligence émotionnelle gagne progressivement les entreprises. Et pour cause : elle permet de lutter contre les phénomènes de burn-out et de turn-over. C’est ce que nous démontre Olivier Carrot, directeur de la Business Unit Media & Hi-Tech de Webhelp à travers une expérimentation menée dans son entreprise. Cette dernière connaît depuis plusieurs années déjà une croissance à deux chiffres. Pourtant, chaque année le groupe doit faire face à un turn-over équivalent à 30% de son effectif, voir 100% sur certains plateaux. « À l’échelle d’un groupe comme le nôtre, cela représente près de 7000 salariés à recruter [et les problématiques économiques liées telles que le temps de formation et de transmission des savoirs]. Pourtant, ces chiffres sont relativement bons dans un secteur ou la charge mentale est importante » explique Olivier Carrot.

« L’industrialisation des années 2000 a focalisé l’attention des clients sur les process : ils veulent une marche à suivre lors de l’appel en call center. Mais c’est faire de l’humain une machine et le mettre en concurrence avec les chabots et autres machines. » - Olivier Carrot.

Olivier Carrot s’intéresse alors à la notion d’intelligence émotionnelle et perçoit le plein potentiel que cette dernière peut apporter au métier et à ses collaborateurs. Il décide alors de s’en inspirer pour bâtir un plan d’action à 3 niveaux critiques :

  • Recrutement : l’entreprise met en place un test visant à détecter les capacités émotionnelles de l’individu.
  • Formation : les nouvelles recrues sont préparées, tout au long de leur formation, grâce à des mises en situation dans lesquelles elles apprennent à identifier et gérer leurs émotions, mais également celles des clients.
  • Management : Olivier Carrot parle du retour de la symétrie des attentions dans l’entreprise et les managers sont sensibilisés à de nouveaux indicateurs lors des moments de débriefing appréciant la relation vs exclusivement l’application d’un process, conducteur métier.

Après quelques mois d’expérimentations, les premiers résultats tombent : le turnover chez les nouveaux arrivants baisse de près de moitié. Les effets de l’intelligence émotionnelle se remarquent également sur la progression des collaborateurs (le temps nécessaire à l’apprentissage est diminué de 10%) et sur leur efficacité (chaque employé participant a en moyenne gagne 4 points d’efficacité)

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De gauche à droite : Cyril Couffe, Directeur des "Talents of Digital Transformation" à la Grenoble Ecole Management, Hanane Bey, CEO de MeetnMake et Caroline Loisel.

Mettre l’intelligence émotionnelle au cœur des processus de recrutement, c’est aussi le pari qu’a fait Hanane Bey, CEO de MeetnMake. Suite à une expérience écourtée dans une grande entreprise, elle constate que la situation aurait pu être évitée si les questions relatives à ses valeurs et à la culture de l’entreprise avaient été posées au préalable. Elle s’adjoint alors les conseils de Cyril Couffe, Directeur des "Talents of Digital Transformation" à la Grenoble Ecole Management, pour trouver une solution à ce problème. Leurs recherches mènent à ces observations :

  • La prépondérance des hardskills : les entreprises se focalisent davantage sur les compétences et sur les diplômes que sur les softskills, qui jouent pourtant un rôle majeur dans la vie professionnelle.
  • Le manque d’information concernant l’intelligence émotionnelle : peu de recherches ont été menées sur le sujet. Les seules sources proviennent de cabinets de conseil peu enclins à partager leurs ressources gratuitement ou de recherches où les sources de données initiales ne sont pas facilement visibles.
Si les entreprises se basent sur les diplômes pour juger un candidat, comment pourraient-elles me comprendre, moi qui ai un doctorat en psychologie appliquée, mais qui ai aussi récemment décroché un CAP pâtissier ?

- Cyril Couffe

Le fruit de ces recherches donne alors naissance à MeetnMake, une startup pensée comme “le Meetic du recrutement”. À partir de données récoltées auprès de l’entreprise et de ses salariés (pour se rapprocher de la réalité du terrain), l’outil adresse à l’entreprise un diagnostic de son écosystème de travail, un plan d'amélioration, et des profils de prospects dont les attentes correspondent à la culture de son organisation.

La version 1 de la plateforme a rassemblé près de 300 entreprises et 8000 candidats, démontrant la nécessité de ce nouveau modèle où l’humain, l’intelligence émotionnelle et les soft skills reprennent le pouvoir.

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IA & IE : vers une nécessaire association ?

Avec l’émergence du savoir-être et la révolution du savoir-faire qu’entraîne l’intelligence artificielle, un constat s’impose : l’union fait la force ! l’IA n’est pas un destructeur d’emploi, mais bien un outil permettant à l’humain de se recentrer sur ce qui compte vraiment : la relation avec l’autre.

On a tendance à dire que les machines et l’IA vont prendre le travail des employés. C’est faux, ce sont les gens qui auront appris à se servir de ces machines qui prendront ces jobs.

- Emmanuel Vivier, cofondateur du HUB Institute

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Un exemple parfait pourrait-être celui évoqué par Thierry Nadisic : l’alliance entre Watson, l’intelligence artificielle d’IBM, et les conseillers de clientèle du CIC. Plutôt que de remplacer ses employés par Watson, la banque prend le pari d’associer les deux. L’IA analyse différents paramètres et données pour recommander des solutions aux collaborateurs. Ces derniers disposent alors d’une vision d’ensemble sur les possibilités qui s’offrent à eux et peuvent se focaliser sur la relation avec le client afin de l’humaniser.

Résultat : une approche plus servicielle et centrée sur l’humain. Si beaucoup d’entreprises (notamment IBM) aiment appeler cette alliance  « l’intelligence augmentée », Caroline Loisel préfère elle le terme « d’intelligence révélée ».

L'émergence de l’IA et de la technologie en générale est une chance car elle nous permet de nous poser la bonne question : qu’est ce qui nous singularise et fait que nous sommes humains ?

A cet effet, les deux experts du HUB Institute rappelle que l’opposition homme et machine n’a pas lieu d’être. « Il faut sortir de cette pensé ‘c’est la machine ou nous’ au profit d’un modèle plus inclusif ».

Et cette dernière de finir avec cette citation de Pierre Richard, Artificial Intelligence Group Lead at Accenture

Aujourd’hui, ce n’est pas tant une guerre des intelligences qu’une guerre des idées.

En résumé

  • L’IA est encore loin d’être intelligente. Cependant, ses capacités cognitives de traitement de l’information restent bien plus élevées que celles des humains.
  • L’intelligence artificielle est un réel atout pour les directions des ressources humaines permettant un meilleur accompagnement des employés et une réduction drastique de la durée des processus.
  • L’intelligence émotionnelle (ou IE) permet une réduction radicale du turn-over et une montée en compétence plus rapide des collaborateurs lorsqu’elle est placée au centre de la réflexion organisationnelle.
  • Il est inconcevable de devoir choisir entre intelligence émotionnelle et intelligence artificielle. Les deux se complètent pour apporter une plus forte valeur ajoutée à l’entreprise.

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