Comment la combinaison data et TV va-t-elle impacter l’écosystème publicitaire dans les 5 années à venir ?
Emmanuel Vivier, co-fondateur du HUB Institute : La montée en puissance de la vidéo digitale a pour beaucoup été synonyme de mort pour la télévision traditionnelle. Cette dernière résiste pourtant très bien, avec des temps de visionnage quotidien moyens atteignant toujours les 3h30 en France (contre seulement 40 minutes pour la vidéo en ligne) ! Pour autant, le numérique a un réel impact sur les habitudes de consommations vidéo : apparition de nouveaux devices pour le visionnage, consommation à la demande ou en replay, usage d’un second écran (le mobile) pour commenter le programme sur les réseaux sociaux.
Une autre révolution est également en cours : celle de la publicité TV adressable. Cette technologie, qui promet l’alliance de couverture du média télévisuel et la précision du ciblage digital, offrira un nouveau champ des possibles pour les annonceurs. Là où les PME ne pouvaient s’offrir que les services de Google et Facebook en matière de publicité online locale, elles pourront dorénavant faire appel aux chaînes de télévision aussi, et profiter d’un écosystème garantissant leur brand safety. À terme, la publicité TV adressable devrait avoir d’autres impacts tels que l’achat d’inventaire média au CPM, la construction de budgets globaux (web+TV) facilitant la comparaison de dispositifs publicitaires omnicanaux, l’apparition de nouveaux annonceurs, plus ancrés dans le tissu économique local…
Et ce n’est là qu’un début ! Certaines startups, comme Mirriad, proposent déjà l’ajout de placement produit dans un film ou une série en post-production grâce à l’IA. Couplé à la publicité adressable, il deviendrait alors possible d’annoncer directement dans une fiction en fonction d’un ciblage affinitaire. Chaque téléspectateur verrait alors une version légèrement différente du même épisode avec un modèle de voiture ou une boisson différente pour le héros.
Mais l’émergence de la publicité adressable, déjà déployée aux États-Unis et en Belgique, n’est pas sans poser quelques questions au sein de l’écosystème publicitaire. En effet, la récolte des données nécessite un intermédiaire technique (généralement l’opérateur téléphonique derrière la box) qui devra être rémunéré par les chaînes de télévision pour donner accès aux données de ses précieux abonnés. Un manque à gagner est également possible puisque les annonceurs n'achèteront plus l’ensemble du réseau publicitaire mais seulement certains segments. Enfin, ce changement de paradigme pose aussi la question de l’accompagnement des entreprises en matière de publicité : demain, vaudra-t-il mieux se faire accompagner par une agence média, historiquement forte sur la gestion du budget, mais moins avancée sur les chantiers de la donnée, ou bien par une agence spécialisée dans la data et même l’intelligence artificielle ?
Data : la nouvelle composante de l'écosystème publicitaire TV
Emmanuelle Godard, Directrice Marketing Digital et Innovation chez Canal+ Brand Solutions : Avec l’internet mobile, tout le monde a désormais un écran entre les mains, voire plusieurs, si bien que chacun peut regarder la télévision sur le device de son choix et au moment de son choix. La personnalisation des pratiques télévisuelles s’inscrit donc comme une tendance de fond.
Au niveau publicitaire, la télévision a longtemps été considérée comme le média de masse par excellence. Avec la digitalisation du média et l’usage de la data, la télévision peut maintenant venir concurrencer les grosses plateformes digitales sur leur terrain de prédilection : le ciblage. Un ciblage déjà possible en TV, via les plateformes de replay, et que le nouveau décret sur la TV segmentée permet d’étendre au flux linéaire de la TV traditionnelle.
Un nouvel écosystème de la publicité TV est donc en train de se dessiner avec la data comme pierre angulaire. Aux États-Unis, la data constitue déjà le principal levier de croissance de la publicité TV. Le déploiement de la data en TV offre donc aujourd’hui de formidables opportunités pour les annonceurs qui vont pouvoir cibler tout en bénéficiant de la puissance de la TV. La TV segmentée va par ailleurs permettre à des annonceurs, qui se cantonnaient au digital pour des raisons de ciblage, d’accéder au média. Enfin, l’hybridation des données de consommation TV avec d’autres sources de données offre dorénavant aux marques la capacité de mesurer l’efficacité de leurs campagnes de façon agile sur des données déterministes.
En France, CANAL+ Brand Solutions a été précurseur sur l’utilisation de la data en télévision. Cela fait en effet plusieurs années que nous utilisons la data des abonnés pour optimiser les plans TV des campagnes CANAL+ et mesurer l’efficacité sur les ventes. Nous mettons aujourd’hui cette data au service des annonceurs en leur offrant la possibilité de croiser la donnée issue de nos box avec leurs données CRM ou des données tierces. Nous avons ainsi pu optimiser le plan TV d’un constructeur automobile pour atteindre des gains d’efficacité de l’ordre de +58% vs un ciblage sociodémo. Nous allons encore plus loin en mesurant aujourd’hui, grâce à un partenariat avec Kairos, l’impact de campagnes TV sur le trafic en magasin pour différentes enseignes.
Réinventer la télévision publique grâce à la donnée
Thomas Luisetti, Directeur de la Stratégie Numérique et de l’Innovation Technologique & Vincent Salini, Directeur Commercial Numérique chez France TV Publicité : C’est un fait, les Français passent de plus en plus de temps à regarder des contenus vidéo. Une situation qui s’explique par la diversité des contenus disponibles, mais surtout par l’émergence de plateformes numériques rendant l’accès à ces contenus plus direct.
Nous assistons à une multiplication des usages de contenus audiovisuels à travers les grands rendez-vous de la télévision linéaire et la consommation à la demande sur les plateformes numériques, dont les catalogues de programmes sont de plus en plus fournis. Ce contexte nous incite à repenser nos pratiques, par exemple, bousculer la chronologie des médias. Ainsi, pour certains de nos feuilletons, nous les rendons accessibles en preview chaque jour dès 6h sur france.tv. C’est une manière pour nous de nous adresser aux Français qui regardent la télévision sur leur téléphone dans les transports le matin. 150 000 téléspectateurs utilisent déjà quotidiennement ce nouveau service. Nous travaillons également à la création de contenus propre au numérique.
C’est le cas de la série Skam, qui est pensée pour le numérique et qui repose sur sa propre temporalité, ce qui en fait la première série transmedia à utiliser un procédé de narration en temps réel aussi précis.
France Télévisions avance également depuis de nombreuses années sur le sujet de la data à des fins de ciblage publicitaire ou éditorial. Cette stratégie Data va encore s’accélérer avec les récents accords sur la "TV segmentée" que nous avons conclus avec les opérateurs télécoms. Après 2 ans de POCs avec nos partenaires, nous pouvons maintenant combiner la puissance du reach média TV et la finesse du ciblage data que l’on connait sur le digital.
Il est certain que de nouveaux annonceurs totalement absents en publicité TV feront leur apparition sur nos antennes. Notamment les annonceurs locaux, les TPE/PME dont l’attente est forte sur la géolocalisation, permettant de communiquer sur un champ d’action prédéfini et à un budget adapté.
Par ailleurs, l’utilisation de la data sur la publicité TV segmentée s’avère très complémentaire de la publicité TV linéaire. Les annonceurs pourront maximiser très efficacement la performance de leur campagne médias nationale, par exemple en adaptant le message de leur création publicitaire pour certains profils ou segments consommateurs.