La transformation digitale de la santé se joue maintenant
Un système français à bout de souffle
Face à une population en hausse et vieillissante, et un système de santé fragmenté et mal informatisé, les dépenses explosent. Avec la pression financière liée à la dette du pays, ce sont souvent la qualité de l’accueil et des soins qui en pâtissent, à l’opposé des attentes de personnalisation et de proximité des patients. L’équilibre subtil entre acteurs de la santé semble au bord de l’explosion. Les professionnels de santé sont exténués, victimes de coupes dans les effectifs et les équipements et de bureaucratisation,… Le nombre de déserts médicaux s’amplifie et 1600 pharmacies ont fermé en 10 ans.
Même les laboratoires voient leurs profits autrefois si importants diminuer (complexité des recherches, génériques) et doivent désormais composer avec de nouveaux acteurs venus les concurrencer, que ce soit les startups ou les GAFA avec leur maîtrise de la Tech et leurs moyens colossaux. Même les retailers s’intéressent désormais au secteur, menaçant les pharmaciens à mesure que le secteur se libéralise.
Pourtant à l’heure de l’intelligence artificielle, de la télémédecine et des biotechnologies tout est loin d’être gris. Mais les acteurs traditionnels du secteur de la santé doivent se préparer à accélérer leur transformation s’ils ne veulent pas se faire disrupter. A l’heure de l’ouverture à la concurrence sous la pression de la communauté européenne, une chose est certaine : rien se sera plus comme avant !
Du soin curatif vers la prévention, la télémédecine et la prédiction
Si jusqu’ici le secteur de la santé était habitué principalement à gérer des patients et des pathologies, il doit désormais renforcer son rôle en amont en matière de prédiction et de prévention. Cette tendance va en effet s’accélérer grâce aux effets bénéfiques conjoints des progrès en matière de capteurs, d’IoT (Internet des objets), de connectivité, de stockage de la donnée, d’exploitation et d’analyse de la data avec l’intelligence artificielle. Des progrès particulièrement utiles dans la surveillance post-opératoire ou pour suivre des patients souffrants de maladies chroniques.
En quelques années, les capteurs externes et internes sont devenus plus performants, plus petits et moins chers. Ils captent et transfèrent la donnée en temps quasi réel et en permanence, sans entraver la vie des patients. Le smartphone devient l’interface "user friendly" de certains appareils médicaux. La donnée devient accessible aux patients aussi et son interprétation, plus lisible pour les non-initiés.
Si les "wearables" du début étaient plutôt destinés aux coureurs ou aux adeptes de fitness avec des données assez simples, les bracelets, montres connectées ou les Apple AirPods deviennent ou sont complétés par de vrais dispositifs médicaux connectés pour suivre précisément telle ou telle pathologie. Vu le coût d’une hospitalisation, en particulier aux États-Unis, pas étonnant de voir les patients comme les assurances chercher à promouvoir la prévention.
Avec la puissance de calcul embarquée dans les smartphones ou la loi de Moore appliquée aux appareils médicaux, on arrive à des devices de plus en plus puissants, de moins en moins chers et encombrants. La donnée récoltée peut soit être analysée par un microprocesseur embarqué (on parle de "edge computing") ou tout simplement traitée à posteriori par un algorithme intelligent une fois transmise par bluetooth, wifi, 4G… dans le Cloud. En mutualisant les données d’une masse critique de patients (en veillant à leur anonymisation), l’intelligence artificielle va progresser encore plus rapidement grâce au machine learning. On peut imaginer que la donnée soit enfin libérée et partageable (avec contrôle et sécurisation) entre le patient, le médecin, l’hôpital, le pharmacien, l’assurance de santé, la mutuelle… pour un suivi plus personnalisé, plus réactif, plus efficace et moins coûteux.
Cela devrait permettre d’accélérer en matière de télémédecine. On assiste d’ailleurs à l’avènement de solutions enfin abouties (4paradigm, Ping an good doctor, H4D, Qare, Mesdocteurs…) permettant à un médecin de diagnostiquer à distance un patient en mixant consultation en visioconférence et captation de données grâce à des cabines et appareils médicaux connectés.
Là où les laboratoires s’intéressaient d’abord aux interactions entre princeps et bactéries/virus, ils prennent aujourd’hui davantage conscience des malades, de leurs environnements et de leurs habitudes de vie. Bref, tout ce qui impacte non seulement la maladie, mais aussi son traitement.
De la science du vivant à celui de la Tech
Pour les acteurs de la santé, cette évolution change considérablement les expertises, les profils et donc la formation à mettre en œuvre. C’est un vrai changement de paradigme ! Là où il fallait des chercheurs et professionnels de la science du vivant et de la chimie, il faudra en plus des experts de la donnée, de l’IA… bref de la Tech !
Si les laboratoires ne prennent pas ce virage, on risque de voir une vague de nouveaux acteurs innovants s’emparer à terme du marché, qu’il s’agisse de startups plus agiles ou des géants du numérique qui décident d’utiliser leur expertise Tech (et leurs finances sans limite) pour débarquer dans le secteur. Google, Amazon ou Apple sont d’ailleurs plus que bien lancés en la matière en investissant des dizaines de milliards, en rachetant des brevets et des startups et en recrutant depuis des années.
Un peu comme avant eux le cinéma, la musique, les médias et plus récemment le retail, la majorité des laboratoires pharmaceutiques ont longtemps regardé de haut les acteurs digitaux. Ils se sont longtemps crus protégés par les régulations nombreuses et complexes ou les investissements en R&D importants que peu d’acteurs peuvent se permettre de supporter. Si le modèle marche si bien depuis des années, pourquoi le changer ? Et comment ? Vu que la majorité de leurs cadres et employés ont été recrutés, formés et promus pour ne prendre aucun risque et répliquer le modèle existant…
Pourtant, récemment, la plupart des laboratoires se sont enfin réveillés. Depuis 2017, les acquisitions et partenariats avec des startups se sont multipliés (Flatiron Health par Roche, BenevolentAI par AztraZeneca, Sanofi et Google, Merck KGaA et Palantir, Novartis et Microsoft…). On a vu le recrutement de CDO et d’équipes Tech, des Learning Expeditions dans la Silicon Valley ou à Cambridge pour le top management, des formations au digital, le lancement de POC (proof of concept), la mise en place d’incubateur ou accélérateur de startups. On a vu les innovations en matière de santé connectée croitre rapidement comme celles d’Abbott au CES 2020 et son lecteur de glycémie FreeStyle libre.
Des actions nécessaires et louables mais souvent avec une vitesse, des moyens et une intensité encore trop limités par rapport aux défis en cours. On ne sort pas de sa léthargie en quelques secondes ! La lutte contre l’inertie est un combat quotidien. Devenir un expert de la donnée et de l’IA ne s’improvise pas. Il faut repenser une stratégie, attirer des talents en data, IoT etc. déjà très courtisés ou racheter des startups en essayant de ne pas les tuer ensuite avec des processus lents et lourds.
Le nouvel écosystème de l’expérience patient
En parallèle cette transformation est rendue complexe de part un écosystème subtil des nombreux acteurs de la santé : privé & public, médecins, hôpitaux, cliniques, sécurité sociale, praticiens, spécialistes, pharmaciens, assurances, mutuelles… S’il est déjà dur de transformer de grandes entreprises comme les laboratoires, on peut imaginer la difficulté que cela représente au niveau d’un pays. Et je ne parle même pas d’une vision internationale vu la diversité de pratiques, de systèmes et de maturité.
Une des solutions et un des problèmes à la fois pour fédérer cet écosystème est celui de la donnée et de la chaîne de valeurs associée. Quelle propriété, quel accès, quelle interopérabilité, quel modèle économique, quelle protection et quelle sécurisation pour les données médicales ? On baigne dans un mix quasi insoluble de sujets techniques mais aussi et surtout éthiques voire politiques. Le standard américain FHIR (Fast Healthcare Interoperability Resources) offre peut-être une bonne piste. Apple y adhère déjà.
Si on comprend la nécessité de protection de la donnée privée, c’est souvent agrégée à grande échelle que la donnée permettrait d’accélérer les essais cliniques et l’innovation. Au-delà de la technologie, c’est aussi une révolution dans l’approche... Au lieu d’avoir de multiples acteurs de santé en silos, il s’agirait de tout unifier autour d’une expérience patient avec un collectif (les fameuses communautés professionnelles territoriales de santé) à son service. Cela suppose de voir aussi comment s’intègre le sujet de la santé auprès des élus et avec la smart city (accessibilité handicapés, maintien des seniors à domicile, accès aux soins pour tous…).
Enfin, le sujet du financement sera un élément clef. En France, la santé est souvent perçue comme "gratuite" alors qu’aux États-Unis, son prix devient de plus en plus inabordable. Si la e-santé permet aux assurances privées américaines de faire des économies (par rapport aux frais d’hospitalisation), en France il va falloir penser à son remboursement si on veut voir la prévention vraiment décoller. Car même si elle est bien plus rentable dans les 2 cas, elle représente encore un coût non couvert en France. Du côté des laboratoires, le modèle économique de la e-santé n’est pas simple non plus. Là où une molécule (après des coûts initiaux énormes en Recherche et Développement) garantissait des revenus pérennes et de belles marges pendant des années, le digital est plus risqué, moins rentable et moins protégeable.
Bref, après des années d’innovations incrémentales, le secteur de la santé doit se préparer pour un BIG BANG dont la cause et la solution seront la Tech. Comptez sur les équipes du HUB Institute pour décrypter avec vous les innovations, startups et bonnes pratiques qui feront cette révolution.